Steven Spielberg utilise la fiction semi-autobiographique pour revisiter son enfance dans The Fabelmans, un film élégant et rassembleur qui malgré toute la magie qu’on essaie d’y affubler, manque d’un je-ne-sais-quoi pour totalement briller.
Il faut croire que la pandémie aura poussé l’arrivée de deux tendances significatives du côté du septième art : les huis-clos et le besoin de revisiter sa propre existence. Suivant les pas des nombreux Gray et Iñarritu cette année, le géant qu’est Steven Spielberg évite la grande biographie pompeuse et s’offre un véritable cadeau qu’il se permet de léguer également à tous ses nombreux admirateurs qui le suivent depuis ses débuts, ou qui se sont joints durant son inimitable carrière qui s’étend depuis presque cinq décennies.
Avec un film fait de l’élégance, du savoir-faire et de la sensibilité qu’on lui connaît, il offre une véritable lettre d’amour à la création, mais aussi à sa passion pour cet art qu’il s’est non seulement approprié, mais qu’il a aussi changé à jamais.
Ce faisant, il garde tout de même le regard continuellement braqué sur la famille, aussi dysfonctionnelle soit-elle, mais aussi sur le mariage tumultueux de ses parents (ses frères et soeurs sont tristement un peu trop accessoires à toute l’histoire et leurs charmes donnent l’impression qu’il y aura certainement intérêt à leur en accorder davantage).
Sous les traits d’un jeune Sammy Fabelman, d’abord dans le creux de l’enfance et de l’émerveillement, puis dans l’adolescence criante d’émancipation, Spielberg se cherche et se questionne, sans pour autant philosopher. Il se laisse traîner d’un endroit à un autre et encourager par ses pairs pour nourrir une passion débordante à raconter des histoires, peut-être pour échapper à une réalité qui, lorsque mise à nue, est toujours moins reluisante que ce qu’on espérerait.
Il ne faut pas en attendre moins de la part de Spielberg, qui continue de faire tout ce qui la toujours motivé, rendant souvent imperceptible le vrai et le faux (surtout en parcourant rapidement sa biographie) pour essayer d’y déceler ce qui est fictif et ce qui est purement tiré de ses souvenirs.
Épaulé de ses collaborateurs habituels, il trouve les mots avec son co-scénariste Tony Kushner, il sait trouver la musique et l’émotion avec John Williams (en plus de pièces classiques indémodables au piano), il sait trouver le visuel avec Janusz Kaminski et il trouve un montage bien assuré par Sarah Broshar et Michael Kahn, qui n’a d’ailleurs été nommé et récompensé aux Oscars que pour des films de Spielberg (qui aurait comme toujours probablement bénéficié d’y retrancher plusieurs moments plus futiles).
Certes, la distribution est remarquable. On parle énormément de la prestation de Michelle Williams qui comme son personnage s’avère plutôt inégale dans les moments où elle brille, mais ce serait dommage de ne pas accorder plus d’attention à la performance nuancée et avec toute la tendresse qu’on lui connaît de Paul Dano, carrément aux antipodes de où on l’a trouvé en début d’année avec son Ridler dans The Batman.
Pour le reste, jusqu’à un cameo qui sera des plus jouissifs pour les cinéphiles, on trouvera une panoplie d’acteurs, pour la majorité pratiquement inconnus qui apporteront une forte fraîcheur à l’ensemble.
Mateo Zoryon Francis-DeFord et Gabriel LaBelle sont d’ailleurs fabuleux dans le rôle-titre, et on trouvera aussi d’autres noms qu’on se plaît toujours à voir et revoir, comme la présence inattendue de Seth Rogen, ou celle trop courte de Judd Hirsch.
On sera par contre moins emballé par tout le segment plus adolescent qui nous amène de manière moins incertaines vers des territoires beaucoup trop connus avec un manque distinct de direction, même quand on semble nous prendre par la main pour nous interpréter la véritable raison de tout ce segment. Aussi parce que les plus grandes inégalités de jeu se retrouveront là. On sera aussi peut-être un brin moins convaincu par les teintes d’humour souvent un peu trop faciles qui n’équivaudront certainement pas les moments d’émotions dosés avec une subtilité fort honorable.
Aussi parce que cette période doit suivre celle beaucoup plus réussie de ses années de scout ou même de son enfance, auxquels on semblait mieux connecter et avec un quelque chose de plus singulier. C’est également à l’image de sa carrière alors qu’il a toujours eu plus de succès lorsqu’il parlait d’enfance plutôt que d’adolescence.
Bien que l’ensemble soit sensible et soigné, ces souvenirs par moment épars de Spielberg nous empêchent un peu d’entrer entièrement dans son univers, de s’impliquer carrément. Peut-être parce qu’il tente de couvrir large, sans parvenir entièrement à tout approfondir avec succès, comme la réalité juive de la dualité entre un parent artiste et un plus cartésien, ou encore la complexité de s’évader vers l’art pour ne pas affronter directement les problèmes.
Il y a aussi le fait que l’un de ses plus grands fans et disciples, J.J. Abrams, dont on retrouvera avec amusement l’un de ses acteurs (Greg Grunberg), nous a pondu un hymne à son œuvre qui nous avait jeté à terre il y a déjà près d’une décennie : le brillant Super 8. S’il peut sembler un peu déloyal de comparer une œuvre totale de fiction à une librement inspiré d’une vie actuelle, on doit aussi mentionner que parfois la proximité à un sujet peut par moment empêcher une fusion complète.
Pris entre le désir de plaire, d’honorer, de raconter, The Fabelmans se perd un peu en cours de route, surtout face à cette durée de deux heures trente, et bien qu’on s’y plaît beaucoup plus souvent qu’autrement, on n’y trouve pas non plus le coup au cœur qu’on attendait.
6/10
The Fabelmans prend l’affiche en salle ce mercredi 23 novembre.