Le monde de la mode est déjà connu pour son importante empreinte environnementale, représentant jusqu’à 10 % de toutes les émissions carbone de la planète. Cette situation délétère est facilitée par un modèle d’affaires basé sur la fast fashion, qui encourage les achats réguliers d’articles à bas prix et à la durabilité limitée. Heureusement, écrit une spécialiste en marketing de la mode de l’Université Manchester Metropolitan, des solutions plus vertes existent.
Selon Patsy Perry, environ 30 % des achats de vêtements en ligne sont par la suite renvoyés au détaillant, et une grande partie de ces retours finissent au dépotoir. En 2020, quelque 2,6 millions de tonnes de vêtements ainsi renvoyés ont été jetées, et ce, uniquement aux États-Unis. Le problème est devenu si important, souligne Mme Perry, que le détaillant en ligne Boohoo a récemment emboîté le pas à un certain nombre de compagnies bien connues du milieu et a commencé à faire payer les retours pour éviter que les clients aient trop souvent recours à cette méthode.
Mais pourquoi ces retours à l’envoyeur, en quelque sorte, sont-ils si importants, et pourquoi ces articles ne sont-ils pas vendus une deuxième fois?
« La pandémie a profondément changé la façon dont nous magasinons », rappelle Mme Perry, « avec la fermeture temporaire des magasins physiques qui a représenté une occasion de croissance en or pour les détaillants numériques ».
Et chez ces vendeurs en ligne, justement, la « tradition » consiste à s’articuler autour d’un modèle dit de fast fashion. L’intérêt se trouve du côté de la nouveauté, des bas prix et des livraisons et retours gratuits, toutes des pratiques qui encouragent les consommateurs à s’offrir plusieurs options, en sachant qu’ils peuvent renvoyer des articles gratuitement, une pratique appelée bracketing dans la langue de Shakespeare.
Par ailleurs, des systèmes consistant à « acheter maintenant et payer plus tard », comme l’entreprise Klarna, qui permettent aux consommateurs de commander sans payer tout de suite, ont accéléré la consommation en ligne, souligne Mme Perry. Selon cette dernière, des études démontrent qu’en offrant de telles « solutions de paiement », les détaillants verront la valeur moyenne de leurs commandes augmenter de 68 %.
D’autres études réalisées au sein de l’industrie avancent que le taux d’abandon des articles mis de côté en vue d’un achat éventuel, dans un panier virtuel, diminue de près de 40 % après la mise en place de solutions de paiement. Les rabais, comme lors du « vendredi fou » alimentent aussi les ventes; la mode représente d’ailleurs environ le tiers de toutes les dépenses du Black Friday.
La fast fashion, synonyme de retours
Malgré l’appel des prix réduits et des ventes, les articles de fast fashion, généralement produits au plus bas prix possible, souffrent largement de problèmes en matière de taille et de qualité, et entraînent donc un important nombre de retours. Les achats impulsifs, alimentés par les rabais, mènent aussi souvent à un sentiment de regret, ce qui vient aussi augmenter le nombre d’articles renvoyés aux détaillants. Le taux de retours pour les vêtements, qui atteint 32 %, est ainsi largement supérieur à celui pour d’autres secteurs du commerce électronique, comme les 7 % pour les produits électroniques, note Mme Perry.
Et pour les détaillants, traiter les retours implique aussi certaines incertitudes et complexités. Impossible de savoir quels produits seront renvoyés, et dans quel état. Souvent, une fois l’article utilisé ou porté, il est difficile de le rendre de nouveau présentable pour espérer le vendre une deuxième fois.
Cela est particulièrement vrai, mentionne encore la chercheuse, lorsqu’il est question du phénomène appelé « wardrobing » – ou « garde-robage », en français, possiblement –, où un article acheté n’est porté qu’une seule fois avant d’être renvoyés. Les détaillants encaissent non seulement des pertes lorsqu’ils traitent de nouveau un article, ils risquent de voir leur réputation entachée si des articles déjà portés ou endommagés se retrouvent sur les étagères.
L’entreprise ASOS a déjà annoncé qu’ils s’attaqueraient à ce phénomène en fermant les comptes des clients frauduleux. Cependant, la menace d’une mauvaise critique en ligne fait souvent en sorte que les détaillants n’ont pas d’autre option que d’aller de l’avant avec un remboursement.
Comme porte de sortie, bien des détaillants choisissent souvent de faire appel à des firmes de vente en gros et à rabais, qui permettent d’obtenir rapidement de l’argent, même si le montant est souvent réduit. Ainsi, une courte recherche sur eBay révèle la possibilité d’acheter des dizaines de palettes de « retours de clients d’Amazon » qui sont à vendre au plus offrant.
De nombreux défis
Pour les détaillants, mentionne Mme Perry, le traitement des articles renvoyés à l’expéditeur et leur volume croissant sont autant de défis à surmonter. Et le fait que ces coûts soient relativement élevés fait parfois en sorte que pour certains articles de fast fashion, les frais sont parfois plus importants que l’argent obtenu lors de la revente. Cela serait notamment imputable au fait que les renvois d’articles sont gérés par des travailleurs au salaire plus important.
En finir avec les retours est donc, bien souvent, la décision la plus logique sur le plan économique. Déjà, des enquêtes sur de grands détaillants, dont Amazon, ont révélé que des dizaines de milliers de produits étaient simplement jetés, chaque semaine. Le géant du commerce électronique affirme pourtant que rien ne finit au dépotoir, mais est plutôt donné, recyclé ou brûlé pour produire de l’énergie.
Chaque année, l’industrie de la mode produit plus de 92 millions de tonnes de déchets textiles, rappelle Mme Perry. Seulement aux États-Unis, les articles de mode renvoyés aux détaillants entraînent plus d’émissions de CO2 que l’équivalent de trois millions de voitures.
Ce CO2, un important gaz à effet de serre, est d’abord émis lors de la collecte des articles à renvoyer, avant que la quantité de ce gaz n’augmente encore lorsque les articles sont brûlés ou jetés dans une décharge. En raison de la prévalence des fibres synthétiques dans la fast fashion, précise Mme Perry, les articles renvoyés peuvent se décomposer pendant un siècle, en émettant du CO2 et du méthane, un autre gaz très polluant, à la même occasion, en plus de laisser derrière eux des substances nocives, dans le sol.
S’attaquer aux obstacles
Si les enjeux environnementaux des articles renvoyés sont clairs, les détaillants de l’industrie de la mode sont également sous le coup d’incitatifs financiers pour s’attaquer à la question des frais de gestion.
En raison de la complexité du traitement des articles retournés, les détaillants font de plus en plus souvent appel à des firmes spécialisées tierces, comme ReBound Returns, qui tente de rendre le processus plus durable.
Cette entreprise encourage les détaillants à donner leurs articles renvoyés à des organisations caritatives. Jusqu’à présent, indique Mme Perry, ce processus a permis d’effectuer des dons de 190 millions de livres sterling. Selon ASOS, 97 % de leurs produits renvoyés sont maintenant revendus, et qu’aucun article n’est envoyé à la décharge.
Malgré tout, l’attrait de la fast fashion continue de croître. La chercheuse appelle à revoir ces pratiques délétères, notamment en encadrant davantage les politiques en matière de retour d’articles, histoire de tenir compte de l’aspect environnemental de la chose.