On dit souvent qu’il y a toujours une part de vérité dans l’humour, ainsi que c’est toujours plus drôle lorsque c’est vrai. Qu’importe l’assiduité des réflexions du film Lignes de fuite, librement adapté de la pièce du même nom de Catherine Chabot, qui s’assure à nouveau d’épauler sa création, on finit par ne plus rire beaucoup dans ce miroir fataliste d’une lourdeur dont on aurait voulu se passer.
Difficile de ne pas se retrouver ou même se reconnaître à plus d’un moment dans cette histoire spécifique, mais pourtant universelle de ces trois amitiés que le temps a séparé et modifié, mais qui se retrouvent pour une soirée où tout passera au peigne fin, mais également au tordeur.
C’est la prémisse classique d’un 24 heures décisives qui pousseront plusieurs personnages foncièrement différents à se remettre en question, à mesure que leurs univers respectifs se verront entièrement chamboulés.
Dieu merci, l’effet théâtre filmé passe beaucoup mieux qu’on le craignait. Ce premier passage à la réalisation pour Catherine Chabot s’appuie sur le flair de la partenaire Myriam Bouchard (qui nous a récemment montré ses élans fantaisistes et réalistes avec Mon Cirque à moi), qui multiplie les longs plans intéressants aux cadrages régulièrement habiles. Certes, on additionne les lieux pour tenter de contrer la stoïcité de la source et on n’échappe pas à cette succession de débats verbeux, mais le dynamisme de l’ensemble a droit à un rythme soutenu grâce à l’énergie des interprètes, aux flammèches qui éclatent lorsqu’on les confronte les uns aux autres, et aussi grâce à une trame sonore qui s’avère régulièrement surprenante.
Certes, le recyclage des figurants manque de subtilité et on hésite encore à déterminer si l’on n’aurait pas aperçu un extérieur jour au travers d’une vitre lors d’une scène intérieure qui devrait se passer en pleine nuit, mais l’écoute ne rime en tout cas jamais avec ennui.
Les problèmes sont ailleurs, alors qu’on a voulu remettre en question tout le sort du monde dans le cœur même du long-métrage.
Les questions existentielles sont valables et on est toujours prêt à les accueillir. Par contre, ici, on s’attaque à l’environnement, à la mondialisation, à la richesse et la pauvreté, la lutte des classes, l’immigration, les arts et les artistes, la banlieue versus la ville, la pollution, la famille, la parentalité, la maternité, l’homosexualité, la maladie, le sacrifice, la loyauté, l’hypocrisie, la fidélité, les langues, le nationalisme, l’estime de soi, l’amour…
Bref, il y a difficilement un sujet qui ne passe pas par la tête de Chabot, qui représente ici la névrose même de l’ensemble.
Disons que ça fait beaucoup, surtout pour un film qui se veut humoristique et de courte durée. Encore plus lorsque le film y va du principe qu’il ouvre toutes les portes pour toutes les discussions, en s’assurant de n’en refermer aucune pour que tous les spectateurs « s’amusent » à les poursuivre une fois le visionnement terminé.
L’autre hic, c’est que tout est immensément très gros, s’assurant d’accentuer les stéréotypes pour ne laisser que très peu de place à l’interprétation. Le gars des villes versus le gars des champs, la businesswoman milliardaire versus la célébrité engagée nageant dans la pauvreté, la fille de banlieue plate versus ses amies mondaines, les québécois centrés sur eux-mêmes versus la canadienne anglaise ouverte sur le monde. Bref, c’est très gros et c’est encore une fois beaucoup pour un film qui veut continuellement pointer le doigt vers la vérité ultime.
On ne cachera pas qu’il y a des répliques qui fondent en bouche. Léane Labrèche-D’or faisait partie de la distribution d’origine et retrouve à ses côtés Mickaël Gouin, son compagnon de tous les jours dont la complicité est palpable, alors que Catherine Chabot nage admirablement bien dans l’univers qu’elle a créée. Bien que faisant montre des moments précis d’émotions, Mariana Mazza fait preuve de beaucoup d’efforts et impressionne, mais n’arrive pas toujours à rattraper ses partenaires de jeu beaucoup plus expérimentés. À ce titre, même Maxime de Cotret malgré son personnage écrit gros comme le bras (quoiqu’habillé de manière complètement défaillante) s’en sort mieux dans les nuances. De son côté, Victoria Diamond a de la difficulté à justifier les élans souvent risibles qu’on lui offre.
Ainsi, Lignes de fuite dérape régulièrement, mais de manière toujours très convenue et contrôlée. Les dérapages sont attendus, oui, mais tout semble toujours très bien arrangé avec le gars des vues pour passer à la prochaine scène prévue au programme. L’ensemble est ainsi si bien rodé selon le plan que l’engrenage bien huilé laisse peu de place pour respirer, considérant la grande noirceur qui affecte chaque recoin de ce film voulant faire réfléchir sur tous les problèmes qui nous font de l’ombre.
Disons que côté divertissement estival, on aura trouvé plus réjouissant, n’en déplaise au talent dont on est néanmoins témoin.
5/10