Dix ans après la magistrale trilogie de Christopher Nolan, il était assez risqué de produire une nouvelle mouture du Chevalier noir, mais c’est un pari que relève le réalisateur Matt Reeves avec The Batman, disponible depuis la semaine dernière en 4K, Blu-ray et DVD.
Il y a maintenant deux ans que Bruce Wayne a entamé sa croisade contre le crime, et qu’il parcourt les rues de Gotham déguisé en chauve-souris afin d’insuffler la peur dans le cœur des criminels. Malheureusement, il effraie aussi la population et, à l’exception du lieutenant Jim Gordon, la police ne voit pas d’un bon œil que ce justicier autoproclamé empiète sur leurs platebandes. Le soir de l’Halloween, le maire Don Mitchell est sauvagement assassiné dans sa demeure. Dans les jours qui suivent, c’est au tour du commissaire du GCPD, Pete Savage, puis du procureur du district, Gil Colson, d’être victimes du tueur. Sur chaque scène de crime, des messages codés sont laissés à l’attention de Batman. L’assassin souhaite éliminer les notables impliqués dans la corruption qui ronge la ville comme un cancer, mais ce faisant, il met au jour des terribles secrets impliquant Thomas Wayne, le père de Bruce, et le programme philanthropique qu’il a mis sur pied juste avant sa mort. Le Chevalier Noir saura-t-il stopper l’homme se faisant appeler Riddler avant que celui-ci ne mette la cité à feu et à sang?

Il n’est pas évident de trouver sa propre voix et de créer une œuvre originale quand on s’attaque à un héros ayant déjà connu une dizaine d’adaptations au cinéma. C’est pourtant ce que réussit facilement à faire Matt Reeves avec The Batman. Prenant des éléments de différents récits cultes, dont The Long Halloween, Hush, ou Batman: Year One, Reeves se concentre davantage sur l’aspect détective du Chevalier Noir, afin d’en présenter une version la plus réaliste possible. Son long-métrage se distingue aussi en mettant en vedette un Batman débutant, imparfait, encore peu expérimenté, qui se casse la gueule et commet des erreurs, ce qui constitue un regard rafraîchissant sur l’iconique justicier. Certains puristes n’apprécieront peut-être pas les libertés que le réalisateur prend avec le Riddler, mais en calquant le personnage sur le Zodiac, un véritable tueur en série dont l’identité reste encore inconnue à ce jour, il crée un vilain beaucoup moins kitsch et caricatural que dans les comics, fournissant ainsi une menace à la hauteur de Batman.
À l’image de la ville de Gotham, qui est un personnage à part entière dans l’univers du Chevalier Noir, The Batman est un film très sombre et glauque. Symbolisant la lutte interne du justicier, déchiré entre la lumière et l’obscurité, la cinématographie ne laisse filtrer que très peu de clarté, à l’exception du dernier acte. Puisqu’il ne gonfle pas artificiellement les muscles de l’acteur qui le porte, comme ce fût trop souvent le cas dans le passé, le costume de Batman est probablement le meilleur à ce jour. Matt Reeves ne met pas en scène une violence symbolique comme dans les comics, et ses affrontements, inspirés d’un style de combat de rue, sont particulièrement brutaux. On apprécie sa version artisanale de la Batmobile, qui semble avoir été bricolée par Bruce Wayne lui-même. Certaines scènes sont mémorables : la poursuite sur l’autoroute dans le sens inverse du trafic par exemple restera gravée dans les mémoires, tout comme la séquence de bataille illuminée seulement par les déflagrations d’armes à feu.

Jouer le Chevalier Noir n’est pas une mince tâche, puisque le personnage exige qu’on interprète non pas un seul rôle, mais bien deux. Malgré tous les doutes que son embauche a pu susciter, Robert Pattinson fait un excellent Batman, quoique son Bruce Wayne soit un peu moins convaincant. Le reste de la distribution est stellaire. Zoë Kravitz est parfaite en Selina Kyle/Catwoman. Bien qu’il soit un excellent acteur, Jeffrey Wright livre un jeu assez économe dans la peau de Jim Gordon. Totalement méconnaissable sous ses prothèses de latex, Colin Farrell donne l’une de ses meilleures performances depuis longtemps dans le rôle du Pingouin. Avec un Alfred Pennyworth plus proche d’un garde du corps que d’un majordome (comme dans Batman: Earth One), Andy Serkis déroge à la tradition et n’appelle pas son protégé « Maître Bruce » une seule fois dans le film. Incarnant le Riddler, Paul Dano est juste assez dérangé pour être menaçant, laissant percer la folie plutôt que de la manifester de façon trop exagérée.
L’édition ultra-haute définition de The Batman contient le long-métrage sur disques 4K et Blu-ray, et inclut aussi un code pour télécharger une version numérique. La production n’a pas lésiné sur le matériel supplémentaire, et on trouve pas moins de deux heures de contenu additionnel sur un disque à part. On en apprend donc plus sur le personnage de Selina Kyle, sur les prothèses de latex et le maquillage transformant Colin Farrell en Pingouin, sur cette version artisanale de la Batmobile, sur les costumes et les accessoires, ou sur Batman et le Riddler, qui constituent les deux facettes d’une même médaille dans le film. En plus d’un Making Of de cinquante-trois minutes sous la forme d’un journal vidéo du tournage, interrompu par la pandémie, deux revuettes nous entraînent dans les coulisses de la scène de poursuite sur l’autoroute et celle où le Chevalier Noir plane dans les airs grâce à son wingsuit. Deux scènes retirées du montage et commentées par le réalisateur complètent ce généreux menu.
Sans jamais ressasser les éléments des films précédents, Matt Reeves réussit à livrer une version personnelle et réaliste du Chevalier Noir avec The Batman. Tous les amateurs du personnage voudront définitivement visionner le long-métrage, qui constitue un départ canon pour cette nouvelle trilogie.
Mes collègues Hugo Prévost et Kevin Laforest ont d’ailleurs consacré un épisode de podcast entier au film, que vous pouvez écouter ici.
8/10
The Batman
Réalisation : Matt Reeves
Scénario : Matt Reeves et Peter Craig (d’après les personnages créés par Bill Finger et Bob Kane)
Avec : Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Jeffrey Wright, Colin Farrell, Paul Dano, John Turturro, Andy Serkis et Peter Sasgaard
Durée : 175 minutes
Format : UHD (4K, Blu-ray et copie numérique)
Langue : Anglais, français, allemand, italien et espagnol