Combien de fois pouvons-nous endurer l’horreur avant de craquer? Quelle est notre dose « maximale » de misère humaine? Dans L’empire du silence, le cinéaste Thierry Michel propose une version condensée de l’histoire des 30 dernières années de l’ex-Zaïre, aujourd’hui la République démocratique du Congo. Une version condensée avec ses guerres, ses massacres, sa violence quasi normale et obligée. Le tout dans le cadre de l’édition 2022 de Vues d’Afrique.
Spécialiste du Congo (ou, plutôt, de la RDC), Thierry Michel ne donne certainement pas dans la complaisance. Ami de longue date du médecin nobélisé de la paix Denis Mukwege, celui qui consacre notamment sa vie à soigner les filles et les femmes victimes de viol, dans un pays où cet acte est utilisé comme arme de guerre par les rebelles, les milices, les groupes intégristes, mais aussi par les forces gouvernementales, M. Michel propose un portrait, en presque deux heures bien tassées, des différentes tragédies qui ont marqué la région depuis le génocide rwandais, qui aura à son tour provoqué l’exil de réfugiés au Zaïre voisin.
Tout se télescope, tout s’entremêle dans cette histoire. Ce qui demeure constant, cependant, ce sont les flots de sang qui abreuvent sans cesse les terres vallonées et verdoyantes de la RDC. Où sont nos larmes, devant ces centaines de milliers de réfugiés, pour la très grande majorité innocents des crimes des milices hutues dans le génocide rwandais, qui ont fui en RDC, et qui ont ensuite été massacrés par milliers par les armées rwandaises et leurs alliés?
Où est notre indignation devant ces images insoutenables, toujours narrées avec un ton froid, posé, où l’on nous raconte ces civils jetés sur les routes, sans eau, sans nourriture, qui tombent comme des mouches? Comment ne pas hoqueter d’horreur à la vue de cet enfant, épuisé d’avoir marché sur des centaines de kilomètres, qui se plaint d’avoir des vers dans la peau de ses pieds, dont le dessus n’est plus qu’une plaie ouverte?
Et où est notre compassion, surtout, face à ces peuples qui s’entredévorent, qui se bombardent, qui mitraillent, et dont les survivants de ces atrocités s’expriment ensuite à la caméra, des années plus tard, pour raconter ces massacres? Tout cela pour des richesses, celles d’un pays dont les sous-sols sont à la fois la bénédiction et la condamnation à une éternité de souffrance, de corruption et de violence?
Pour le coltan, pour le cobalt, pour d’autres minerais stratégiques qui se vendent particulièrement cher, on tue, on pille, on détruit; et les pays voisins sont non seulement témoins de ces drames, mais les encouragent activement. Histoire de s’en mettre plein les poches, mais aussi histoire de garder la RDC dans une position de faiblesse.
Le documentaire de Thierry Michel est un film direct, qui va droit au but, et qui ne ménage aucunement son public. On en termine le visionnement écoeuré par la nature humaine, et surtout profondément attristé de savoir qu’encore aujourd’hui, après le règne sanguinaire de Mombutu, après la révolution et les guerres civiles, après les intégristes islamistes qui kidnappent des jeunes femmes, il y a encore, dans l’actualité, des articles portant sur des groupes militaires oeuvrant en RDC, des histoires de pillages, de massacres, de destruction à petite et grande échelle.
L’empire du silence devrait être un documentaire obligatoire pour comprendre pourquoi la RDC et sa région sont toujours à feu à sang. Et pour espérer pouvoir enfin changer les choses.