À l’approche de Noël, les épiceries et leurs chaînes d’approvisionnement occuperont une place importante dans la tête de plusieurs consommateurs. Un nouveau rapport de la Food Research Collaboration, qui s’appuie sur une analyse de la professeure Lisa Jack de l’Université de Portsmouth, révèle que le modèle d’affaires des supermarchés est étrangement fragile.
Que se passerait-il si les prix habituellement bas des épiceries n’étaient pas seulement une question d’économies d’échelle? Une plongée dans des travaux réalisés au cours des 60 dernières années laisse entendre que ce modèle classique ne fonctionne pas vraiment pour les supermarchés.
L’enquête de la professeure Jack a permis d’indiquer que le modèle d’affaires des supermarchés est en équilibre précaire: avec peu de marge de manoeuvre, ce sont les marges de profits appliquées à d’importantes quantités de biens qui permettent de faire fonctionner le système. Les consommateurs profitent de stocks quasiment infinis de produits abordables, mais le système doit être maintenu dans un équilibre délicat qui pourrait rapidement s’effondrer.
Le nouveau rapport, intitulé The secrets of supermarketing: A model balanced on a knife-edge, indique également que prendre de l’expansion vient en fait empirer les finances des épiceries. En d’autres mots, les supermarchés doivent débourser les frais liés à leur fonctionnement (stocks, locaux, systèmes informatiques, employés, affichage, logistique sophistiquée), mais doivent garder les prix bas pour demeurer attractifs pour les consommateurs et faire en sorte qu’ils continuent de venir faire leur course dans leur succursale.
Les épiceries s’astreignent alors à garder les prix bas en incitant les consommateurs à acheter davantage, et en se tournant aussi vers leurs fournisseurs pour, là aussi, faire en sorte que les frais soient minimes. Le pouvoir de négociation est en fait le seul avantage relié à la taille et l’ampleur des supermarchés, mais cela risque aussi, en même temps, d’imposer des pressions financières et émotionnelles sur les fournisseurs.
Toujours selon la professeure Jack, l’une des méthodes employées par les supermarchés pour réduire les coûts consiste à faire payer des frais, aux fournisseurs, pour mettre en marché et vendre leurs produits, ce qui génère des « revenus commerciaux » qui peuvent égaler, voire surpasser les profits de base des épiceries. Sans cet apport financier supplémentaire, les épiceries britanniques perdraient de l’argent, ou ne seraient pas loin de se trouver dans cette situation, juge la chercheuse.
Problèmes multiples
Ce modèle de supermarchandisation, avec des prix réduits, de vastes choix, un marketing très poussé et des marges réduites, bien que délicatement équilibré et géré de main de maître par les exploitants des épiceries, risque de déséquilibrer le reste de l’industrie alimentaire: ce modèle d’affaires laisse par inadvertance, dans son sillage, un système alimentaire caractérisé par la surconsommation, l’ingestion de trop de nourriture, la surproduction et le gaspillage. Les aliments sont déposés dans les armoires et les garde-manger des consommateurs, puis oubliés; des calories vides sont stockées dans nos corps, et de la nourriture parfaitement bonne à manger est jetée, lit-on dans le rapport.
Aux yeux de la professeure Jack, les « supermarchés se sont montrés fantastiques dans l’art de vendre ce qui est appelé un « ensemble pratique » aux consommateurs, soit des prix réduits, une facilité d’achat, voire du divertissement. Le but de mes travaux n’est pas de critiquer les épiceries. Mais cela soulève des questions importantes à savoir comment un modèle si spécifique peut mettre en place les changements qui pourraient être nécessaires, et qui sont souvent réclamés par des militants, pour parvenir à un système alimentaire plus équilibré. »
Pour la Dre Rosalind Sharpe, directrice de Food Research Collaboration, cette « étude qui tombe à pic nous met en garde à propos du fait que notre système en apparence puissant et fiable pourrait être plus fragile que ce que nous pensons. Avec une fausse économie d’échelle, plusieurs grands détaillants dépendent maintenant du transfert de coûts et d’une anxiété vers les fournisseurs ».
« Demander aux supermarchés de se réformer, en payant des prix plus élevés à leurs fournisseurs, en offrant moins d’options, ou en demandant plus d’argent aux consommateurs, cela équivaudrait en gros à leur demander de se dé-supermarché-iser. Est-ce que le système alimentaire pourrait supporter cette transformation? Est-ce que les consommateurs le souhaitent? Est-ce que les décideurs prendraient le risque? Nous devons nous attaquer à cette question, alors que nous envisageons d’adopter un modèle plus vert, plus nutritif, durable et équitable. »