Le cinéaste canadien Bruce LaBruce est définitivement familier avec la controverse qu’on pourrait souvent qualifier de gratuite. Sa plus récente création, l’inclassable Saint-Narcisse, est probablement son œuvre la plus techniquement accomplie à ce jour, mais tout le reste, principalement en termes de crédibilité, continue sérieusement de battre de l’aile. De quoi intriguer à tort tous ceux qui voudront s’y pencher, maintenant qu’il arrive en DVD.
Il faut quand même louanger l’intégrité non seulement du processus, mais aussi du personnage qu’est le créateur d’un film aussi singulier. Fidèle à lui-même tout comme à ses désirs, ses intérêts et ses pulsions, Bruce LaBruce est l’un des rares cinéastes à parvenir professionnellement à faire le pont entre le cinéma plus artistique et celui carrément érotique pour ne pas dire pornographique. Des inspirations qui sont volontairement issues des années 70, tout en ne manquant pas de trôner bien au-dessus des autres œuvres à voir le jour à une époque où le politically correct a presque toujours malheureusement le dessus.
Il n’est donc pas surprenant que ses œuvres, comme celles d’une certaine Julia Ducournau ou d’un Leos Carax, si l’on veut comparer, attirent néanmoins l’attention, en plus d’atteindre un statut culte, ou encore d’obtenir le prestige lié à de grands festivals. Dans ce cas-ci, il est à noter que le film a été présenté autant à Venise qu’à Toronto.
Suivant les ébats qu’on retrouvait dans Gerontophilia, où un jeune homme découvrait son attirance pour les hommes d’âge mûr en travaillant en résidence de personnes âgées, son dernier long-métrage canadien « grand public », il s’amuse ici à se réapproprier le mythe de Narcisse, tout en se lançant dans un périple d’époque, pour ne nommer que quelques-unes de ses toujours nombreuses ambitions. Cela lui permet aussi, comme il l’avait fait avec Pier-Gabriel Lajoie, qui a vu sa carrière grandir dans les dernières années, d’offrir un premier grand rôle au grand écran à un acteur de la relève, alors que Félix-Antoine Duval se dévoue corps et âme au rôle double rôle de Dominic et son jumeau.
Véritable cinéphile avoué, tout comme un grand amoureux de ses collaborateurs (il filme les corps de ses interprètes avec une passion unique), LaBruce sait certainement bien s’entourer, sans nécessairement permettre à son équipe d’offrir le meilleur d’elle-même. Il a après tout l’une de ses distributions les plus prestigieuses à ce jour, avec notamment Angèle Coutu et Andreas Apergis, tout en bénéficiant des images du légendaire Michel La Veaux, sauf qu’il est très difficile d’éclipser le scénario aux limites amatrices de LaBruce, mais aussi de son coscénariste Martin Girard, à qui l’ont doit de nombreux navets comme Nitro Rush, la télésérie Le Jeu et le marquant (mais pas pour les bonnes raisons) Angle mort.
Ce qui apparaît souvent comme de la psychologie à deux sous et une compréhension bien primaire de son sujet, alors qu’on ne développe pas tant le narcissisme tout comme en offrant une résolution plutôt facile au mystère principal, est également très rapidement rattrapé par le ton déconnecté de l’ensemble, où performances et répliques semblent volontairement ou non issues d’un mauvais porno ou d’un Shyamalan (ceux qui ont endurés son Old pourront comprendre).
Les désirs de suspense portent rarement fruit, rappelant le pire de son discutable L.A. Zombie, où son protagoniste ramenait des morts à la vie grâce à des relations sexuelles, et s’étirant encore bien inutilement par rapport à ce qu’on nous offre au final.
Le spectateur est donc pris entre une certaine fascination non seulement des suites du fait qu’un tel film existe, mais également qu’il ait été conçu tout comme financé par des institutions sérieuses et professionnelles. Le tout s’accompagne d’un désir non-négligeable de fous rires, en ne sachant pas trop si tout ceci doit véritablement être pris au sérieux.
Car il faut l’avouer, dans ces déboires d’inceste, de désir, de plaisirs entre moines, de monastère, de lesbianisme et de secrets enfouis, on pourrait facilement se perdre, mais tout est tellement expliqué avec insistance qu’on a plutôt envie de rire que l’ensemble nous soit raconté avec autant de sérieux laissant bien peu de place à ce qu’une petite dose d’humour aurait pu apporter si ce n’est changé à l’œuvre.
À noter que l’édition DVD comporte deux scènes supprimées. L’une d’elle donne un peu plus d’importance au personnage d’Angèle Coutu et l’autre met un peu plus en contexte le concept de narcissisme du protagoniste, tout comme un jeu intéressant de montage. Il y a également une piste de commentaire audio du cinéaste Bruce LaBruce, qui parle de son film de façon étrangement pédante, évoquant comme inspirations des grands tel Cronenberg et Pasolini, tout comme du cinéma québécois d’antan, références qu’on retrouve après tout bien peu dans le film final.
Saint-Narcisse se loge donc presque uniquement du côté des curiosités, comme la majorité de ce que LaBruce touche, à défaut de s’en sortir très honorablement avec ce désir d’un seul acteur dans un double-rôle comme l’effet est certainement des plus confondant. Le cinéaste est aussi l’un de ceux qui mettent la trop rare nudité masculine frontale à l’avant-plan. Un effort encore louable, mais qui a tôt fait à la fois de nous perdre et de nous décourager, bien avant la risible ligne d’arrivée.
3/10
Saint-Narcisse arrive en DVD via Film Movement ce mardi 14 décembre.