Le côté sombre de Guillermo Del Toro paraît pratiquement plus terrifiant lorsque celui-ci délaisse le fantastique, en s’intéressant cette fois littéralement au monstre intérieur qui peut sommeiller en nous. Fort de ses Oscars gagnés il y a déjà quatre ans, le voici finalement de retour avec Nightmare Alley, adapté du roman du même nom publié en 1946, annoncé et dévoilé à peine quelques semaines avant sa sortie.
Le constat est évident: d’un point de vue technique, Guillermo Del Toro nous livre la totale et nous en met encore plein la vue. Il suffit d’une scène dans les décors de la fête foraine ambulante pour être abasourdi par la qualité des décors, tout comme de la créativité qui se retrouve dans les formes.
Sans nécessairement rejoindre le charme plus simpliste de ses œuvres antérieures, Del Toro refait équipe avec d’anciens collègues, notamment sur The Shape of Water et Crimson Peak, deux films qui épataient aussi au niveau visuel, tout en étant beaucoup plus convenus d’un point de vue narratif. On ne cachera pas que si on roule encore des yeux en pensant au dénouement de Crimson Peak, on repense encore beaucoup à la maison créée de toute pièce qui valait plus que son pesant d’or.
Il est certain que d’un point de vue scénaristique, il y a la fougue de ses œuvres plus vieilles qui nous manque alors que le cinéaste n’avait pas peur de laisser libre court à son imagination. Bien sûr, on ne reniera jamais notre plaisir devant Pacific Rim (et on ne parlera jamais au grand jamais de son horrible suite), mais El laberinto del fauno et El espinazo del diablo garderont toujours une place bien précise dans notre coeur de cinéphile. Et ici, si le cinéaste s’octroie quand même le droit de peaufiner son univers, il donne malgré tout l’impression d’être pris par nombreuses contraintes liées au matériel original.
Ici, Nightmare Alley est un roman de 1946 qui ne l’offre pas facile à ses spectateurs en tournoyant autour d’un protagoniste au comportement discutable. Un être opportuniste et manipulateur prêt à tout pour arriver à ses fins. On salue alors Del Toro d’avoir fait appel à Kim Morgan (une habituée de Guy Maddin) pour co-écrire le scénario, permettant au film d’éviter les pièges de la misogynie et arrivant sans mal à faire briller à de nombreuses reprises ses personnages féminins (même dans des situations de détresse). Ceux-ci sont défendus avec force par une distribution à tout casser, parmi lesquelles on compte Rooney Mara, Toni Collette et la toujours impériale Cate Banchett.
Si la présence de Ron Perlman est pratiquement obligée et qu’on retrouve à nouveau le toujours admirable Richard Jenkins, Del Toro s’offre de nouveaux venus dans son univers et pas les moindres comme Willem Dafoe et le génial David Strathairn. Si Bradley Cooper continue de vouloir être pris au sérieux (il a d’ailleurs produit le projet), on hésite encore à se demander s’il a tout ce qu’il faut pour porter la majorité du scénario sur ses épaules. Force est d’admettre, toutefois, qu’il s’avère particulièrement convaincant lors de la scène finale qui malgré son côté prévisible et attendu, évite de nombreux pièges, dont celui de la surexplication. D’ailleurs, de nombreux spectateurs moins avisés risquent de ne pas comprendre du premier coup les allusions, ce qui est tant mieux!
C’est après tout loin d’être sa proposition la plus grand public; on penche davantage vers le délire de Gore Verbinski qu’était A Cure for Wellness avec un rythme lent, quoique grandement fascinant et hypnotisant.
Le film abuse par ailleurs un peu trop de son potentiel, avec une durée dépassant largement les deux heures. Cela est particulièrement notable lorsqu’on tourne un peu en rond en matière de caractérisation assez simple de ses personnages, au lieu de contextualiser l’époque, comme Del Toro aime et sait si bien le faire.
On veut tellement tout bien établir (sans trop approfondir) que l’intérêt bat par moment de l’aile, surtout lorsque les détours semblent plus familiers et que l’audace se fait plus rare. Il y a d’ailleurs beaucoup de sous-intrigues qui semblent plus intéressantes que celles plus principales alors que d’autres situations ne sont pas assez développées, le personnage principal tissant des liens singuliers avec les différents personnages croisant son chemin. On pense à Clem Hoately, incarné par Dafoe, qui finit par ne pas servir à grand-chose.
Nightmare Alley demeure néanmoins une production d’une grande qualité. Il serait étonnant que celle-ci se voie auréoler du même succès que sa prédécesseur, mais le film marque un changement de cap qui ne fait définitivement pas de tort au cinéaste. Reste à voir comment il parviendra à marier ses meilleurs éléments pour peut-être nous offrir, on l’espère, encore mieux la prochaine fois.
6/10
Nightmare Alley prend l’affiche en salles vendredi 17 décembre.