On ne sait plus trop à quel saint vouer Ridley Scott: entre Blade Runner, Alien, Gladiator et… Alien: Covenant, ou encore House of Gucci, qui subit sa part de critiques, The Last Duel, film médiéval à grand déploiement, étonne non seulement par sa complexité, mais aussi par la qualité de sa distribution.
Vers la fin du 14e siècle, en France, Jean de Carrouges semble voué à tout perdre: même s’il cherche constamment à se couvrir de gloire et d’honneur, s’il est loyal envers son souverain, le voilà qui n’est pas respecté par ses pairs, qui fait l’objet de blagues, voire de quolibets. Pire encore, il se ruine à la guerre, voit les meilleures terres de son beau-père, pourtant promises à lui dans le cadre de la dot de sa future épouse, lui glisser des mains, tout comme le prestigieux poste militaire de son père… Tout cela culmine avec une provocation en duel de celui qui était pourtant autrefois son ami, Jacques Le Gris.
Le Gris aurait ainsi violé la femme de Carrouges, Marguerite, en profitant de l’absence de ce dernier. Décidé à protéger son honneur coûte que coûte, Carrouges passera outre le jugement de tribunaux de basses instances, et s’adressera directement au roi, d’abord, mais surtout, croit-il, à Dieu lui-même.
Basé sur un roman d’Eric Jager, The Last Duel surprend de plusieurs façons. D’abord, par la qualité de sa distribution: s’il est aisé d’y reconnaître Adam Driver en grand séducteur (pas vraiment un renouveau, ici, pour l’excellent acteur), l’utilisation de Matt Damon pour jouer Carrouges, sorte de butor sans véritable personnalité, si ce n’est celle d’un homme pas nécessairement brutal, non, mais sans imagination, sans ouverture d’esprit.
Damon, qui nous a largement habitués aux rôles de père de famille tranquille, a ici des allures de beau-frère, en quelque sorte, surtout avec son visage empâté et sa coupe de cheveux évoquant principalement la rive sud de Montréal.
Outre Damon et Driver, on retrouve aussi Ben Affleck dans le rôle du comte Pierre d’Alençon, un homme riche et puissant, certes, mais qui tend à pratiquer le népotisme à un degré tel que le jupon ne fait pas que dépasser; il n’existe que celui-ci, en fait. Affleck et Damon ont d’ailleurs co-scénarisé le film, en compagnie de Nicole Holofcener.
Ridley Scott a par ailleurs opté pour une structure en trois actes, chacun de ceux-ci racontant les faits sous l’angle des personnages principaux (Carrouges, puis Le Gris, et enfin Marguerite, l’épouse du premier qui aurait été violée par le second). Si cette structure a déjà été utilisée ailleurs, y compris dans la série The Affair, le principe est employé ici de manière efficace, avec, à chaque fois, des détails supplémentaires qui émergent, et qui en disent un peu plus long sur ce qui s’est véritablement passé. Avec, à la clé, un constat social quelque peu déprimant à propos des structures de pouvoir à l’époque médiévale, structures qui semblent persister, de nos jours.
L’autre surprise, ce sont ces petites et grandes choses. Comme le choix de tourner dans de véritables châteaux. Ou, du moins, dans un ensemble de vrais châteaux et de décors si ressemblants qu’on s’y méprend. Impossible, non plus, de ne pas parler de tous ces figurants qui parlent français, ou encore des acteurs principaux qui tentent de baragouiner la langue de Molière, ne serait-ce qu’en prononçant leur propre nom et celui de leurs interlocuteurs. Bien entendu, la distribution est principalement anglophone, mais il y a quand même quelque chose de sympathique à voir cette histoire se dérouler en Normandie, notamment, alors qu’il aurait été tout à fait possible de la transposer sur les îles britanniques. Après tout, il s’agit d’une autre de ces histoires « inspirées par des faits réels »… Ce qui, en langage cinématographique, permet de faire un peu ce que l’on veut.
Beau, parfois étonnamment violent, viscéral, bien joué, bien raconté… The Last Duel prouve que Driver, Damon, Affleck et compagnie sont en mesure d’être sérieux, tout en s’amusant. En plus de démontrer, bien sûr, que Ridley Scott a heureusement encore quelques cordes à son arc. Et qu’entre d’étranges créations (oserons-nous dire des navets?), le célèbre réalisateur peut offrir, de temps en temps, de petits bijoux.