Le géant du commerce en ligne Amazon offre un crédit en magasin de 10$ US à quiconque offre ses empreintes digitales pour s’en servir dans les magasins physiques sans caisses de l’entreprise – une démarche qui pourrait rendre le paiement des items plus rapide et plus pratique pour les consommateurs, mais qui est accompagnée de nombreux risques en matière de protection de la vie privée, selon deux spécialistes en droit et marketing de l’Université Northeastern.
« Les informations biométriques sont permanentes », rappelle Ari Waldman, professeur de droit et de science informatique. « Vous pouvez changer votre nom, vos informations de carte de crédit et votre numéro de téléphone relativement rapidement, mais vous ne pouvez pas changer vos empreintes, ou les caractéristiques uniques de la paume de votre main. Et une fois que vous donnez vos données biométriques à une entreprise, elle pourrait vous suivre à jamais avec cette information.
Amazon a mis en place des scanneurs de paumes l’an dernier, appelés Amazon One, pour que les clients puissent payer dans les magasins de l’entreprise en plaçant leur paume sur ces appareils à leur sortie des lieux. Pour obtenir le crédit de 10$, les utilisateurs doivent faire enregistrer leur empreinte et lier le tout à leur compte en ligne.
Ces appareils sont offerts dans 53 magasins Amazon aux États-Unis, y compris certaines succursales de la chaîne Whole Foods, qui a été rachetée par le géant il y a maintenant quelques années.
Amazon n’est pas la première compagnie à intégrer des données biométriques dans ses produits et services; les utilisateurs peuvent déverrouiller leur téléphone intelligent avec leur empreinte digitale ou via la reconnaissance faciale. Idem pour plusieurs marques d’ordinateurs portatifs, notamment. Et Amazon ne sera pas non plus la dernière compagnie à agir de la sorte, soutient Yakov Bart, professeur adjoint en marketing à l’Université Northeastern.
« Nous voyons une explosion de systèmes s’appuyant sur les données biométriques dans le monde des affaires, et cela risque fort de continuer à se répandre, à mesure que le traitement informatique via l’infonuagique permettra aux compagnies d’utiliser les données sans avoir besoin de produire elles-mêmes les logiciels et le matériel nécessaires », ajoute-t-il.
Les consommateurs y trouvent leur avantage: offrir une empreinte de sa paume permet de payer ses achats plus rapidement, par exemple. Mais il n’est pas toujours facile de savoir ce qu’une entreprise fera avec ces informations biométriques, une fois qu’elles seront en sa possession. Amazon a vendu son logiciel de reconnaissance faciale à plusieurs services de police, une pratique qu’elle a mise en pause après que des défenseurs des droits de la personne eurent dénoncé l’inefficacité de tels programmes.
Et les lois actuelles ne sont pas seulement « inefficaces » pour protéger la vie privée des consommateurs, martèle M. Waldman, plusieurs d’entre elles sont en fait conçues pour avantager les compagnies.
« Il est possible de créer des lois pour réglementer ce modèle d’affaires, mais les politiques qui s’appuient sur des approches à la pièce sont insuffisantes », précise le chercheur, en faisant référence aux initiatives européennes en la matière, entre autres exemples.
Le fait d’offrir d’acheter des informations biométriques est par ailleurs « particulièrement problématique », avance M. Bart, puisque cela ouvre la voie à des pratiques potentiellement discriminatoires.
« Une fois que vous établissez le prix pour les informations des gens, vous devez vous demander si les entreprises commencent à offrir des prix variables en fonction de l’identité des gens – mes informations pourraient être moins payantes que celles d’un milliardaire, par exemple », dit-il.
À plus grande échelle, les modèles de paiement pour obtenir des données « renforcent la notion voulant que notre vie privée soit un bien à vendre, plutôt qu’un droit », assène M. Waldman.