Disponible cette semaine en 4K, Blu-ray et DVD, Judas and the Black Messiah raconte l’histoire de Fred Hampton, l’une des figures les plus emblématiques du Black Panther Party, ainsi que l’infâme trahison qui lui coûta la vie.
Chicago, 1968. William O’Neal est un escroc ingénieux qui, plutôt que d’utiliser une arme à feu, se sert d’une fausse badge du FBI pour dérober des voitures. Lorsqu’il se fait pincer par la police, il risque un an et demi de prison pour vol, et cinq pour personnification d’un agent fédéral, mais ironiquement, en échange de sa liberté, le FBI lui propose d’infiltrer le Black Panther Party et de gagner la confiance de son président, Fred Hampton, dans l’espoir de le compromettre. O’Neal accepte, mais à mesure qu’il découvre l’implication sociale de l’organisation, qui met sur pied des programmes de déjeuners pour les enfants pauvres ou des cliniques médicales gratuites, il se découvre des affinités avec les membres de cette organisation considérée comme terroriste par les autorités, et accablé par sa conscience, l’agent double aura de plus en plus de remords à mener à terme sa mission.
Le parcours de Fred Hampton, l’un des orateurs les plus doué du Black Panther Party, est assez bien connu de ceux et celles qui s’intéressent à l’Histoire américaine récente, mais le film Judas and the Black Messiah met surtout en lumière la vendetta personnelle de J. Edgar Hoover à l’égard du militant, considéré comme une menace parce qu’il prônait de prendre les armes contre des forces de l’ordre tuant impunément les Noirs, mais surtout parce qu’il avait réussi l’exploit de réunir, dans une coalition arc-en-ciel, les gangs criminels afro-américains de Chicago, les latinos, et même les rednecks blancs anti-gouvernement. On y voit comment, motivé par le racisme, le patron du FBI mît tout en œuvre pour nuire au mouvement, que ce soit en utilisant des agents d’infiltration comme O’Neal, en incendiant le quartier général des Panther, en procédant à l’arrestation de Hampton sous le prétexte d’un vol de crème glacée, ou en criblant son appartement d’une centaine de balles alors que ce dernier dormait sous l’influence de somnifères glissés dans sa boisson.
Shaka King, qui a surtout travaillé du côté du petit écran et dont c’est seulement le deuxième long-métrage, livre une œuvre puissante et nuancée avec Judas and the Black Messiah. Non seulement il ne présente pas un portrait angélique de Fred Hampton, mais il humanise le personnage de Bill O’Neal, qu’il aurait été facile de vilipender étant donné ses actions. Le réalisateur nous replonge efficacement dans le contexte de l’époque alors que, suite au meurtre de Martin Luther King et de Malcom X, les rues de Chicago se sont transformées en véritable champ de bataille, opposant les militants du Black Panther et les forces de l’ordre. Comme pour appuyer la clandestinité dans laquelle oeuvrait cette organisation luttant pour la défense des Afro-américains, sa cinématographie léchée compte beaucoup de pénombre, avec ses bars enfumés, ses appartements tamisés, ou la lueur des néons se reflétant dans la vitre des voitures, et il appuie judicieusement l’émotion dans plusieurs de ses scènes à l’aide d’une trame sonore composée de soul, de funk et de jazz.
S’il ne possède qu’une lointaine ressemblance physique et s’avère un peu vieux pour jouer un homme qui n’était âgé que de 21 ans au moment de son décès, Daniel Kaluuya (Get Out, Black Panther) a clairement écouté les discours de Fred Hampton, et il reproduit sa diction et sa passion oratoire avec justesse, faisant preuve d’une intensité lui ayant valu l’Oscar du meilleur rôle de soutien masculin. Il est toutefois éclipsé par la performance éblouissante de LaKeith Stanfield dans le rôle de Bill O’Neal, et tout au long du long-métrage, on sympathise avec les tourments du traître, tout en se demandant sans cesse de quel côté vont ses allégeances. Interprétant Roy Mitchell, l’agent de liaison de O’Neal au FBI, on retrouve Jesse Plemons (The Irishman, Black Mirror), ainsi qu’un Martin Sheen presque méconnaissable sous le maquillage de latex dans la peau de J. Edgar Hoover.
L’édition haute définition de Judas and the Black Messiah maintenant disponible comprend le long-métrage sur un disque Blu-ray, et s’accompagne d’un code pour télécharger une copie numérique. Du côté du matériel supplémentaire, on trouve deux revuettes d’une dizaine de minutes chacune. Dans la première, les producteurs, le réalisateur, les auteurs et les acteurs principaux parlent de Fred Hampton, et de son héritage. Dans la seconde, consacrée à William O’Neal, l’acteur LaKeith Stanfield évoque les difficultés qu’il a éprouvées à jouer le rôle de l’homme ayant trahi l’une de ses idoles. On y apprend également que O’Neal s’est suicidé le jour même de la diffusion de l’émission Eyes on the Prize II dans laquelle il évoquait son rôle dans l’infiltration des Black Panther de l’Illinois.
Aussi palpitant qu’un drame policier, Judas and the Black Messiah est une chronique historique qui, en plus de nous renseigner sur Fred Hampton et le Black Panther Party, permet également de constater les moyens, pas toujours légaux, mis en œuvre par le FBI pour discréditer cette organisation, et éliminer ses membres les plus influents, souvent dans le sang.
7.5/10
Judas and the Black Messiah
Réalisation : Shaka King
Scénario : Will Berson, Shaka King, Kenneth et Keith Lucas
Avec : Daniel Kaluuya, LaKeith Stanfield, Jesse Plemons, Dominique Fishback, Ashton Sanders, Algee Smith et Martin Sheen
Durée : 126 minutes
Format : Blu-ray (+ copie numérique)
Langue : Anglais seulement (avec sous-titres en anglais, français et espagnol)