Y’a-t-il un sujet qui est encore aussi tabou que ne l’est le suicide? Dans une bande dessinée aux allures de documentaire publiée chez Moelle Graphik, Isabelle Perreault, André Cellard et Patrice Corriveau, avec les dessins de Christian Quesnel, parviennent à jeter un nouvel éclairage sur ce terrible phénomène qui ne date certainement pas d’hier, y compris au Québec.
Plutôt que de s’intéresser à l’ensemble de la question du suicide, cette bande dessinée se penche surtout sur ces morts prédéterminées, ces occasions où les individus – ou les couples – ont donc scénarisé ces derniers moments.
Intéressés par la question du suicide, et notamment par la façon dont ce geste ultime a été caractérisé et étudié à travers les âges, les chercheurs ont donc écumé des milliers d’enquêtes effectuées ici sur des suicides, de 1763 à nos jours.
À la fois cours d’histoire, mais une histoire méconnue, mal enseignée, dont on ne parle pratiquement jamais, tabou social oblige, et voyage poétique, grâce à de magnifiques illustrations, cette bande dessinée, dont le titre reprend le cri du coeur d’Huguette Gaulin, qui s’est immolée par le feu dans les années 1970, Vous avez détruit la beauté du monde met de l’avant le côté très « vivant » et particulièrement humain du suicide.
Car s’enlever la vie, ce n’est pas seulement l’acte, bien sûr, mais la culmination d’une série de circonstances particulières, bien entendu dramatiques, qui renseignent les historiens et autres spécialistes sur les moeurs, les événements importants et les structures sociales d’une époque bien précise. Il est notamment fascinant d’apprendre que certaines personnes, au début du 20e siècle, laissaient tout derrière elles pour prendre le bateau, parfois pendant plusieurs semaines, et venaient se suicider à Montréal ou Québec, à peine débarqués du navire.
Il ne faut par contre pas feuilleter Vous avez détruit la beauté du monde en espérant y trouver une oeuvre scénarisée. Pas de protagoniste principal, ici, si ce n’est des chercheurs qui épluchent quantité de documents, de lettres, de rapports d’autopsie, etc. Cela n’empêche pas la lecture d’être agréable, en un certain sens. Au fil des pages, on se sent pénétré de cette étrange énergie, ce mélange de peine, de désespoir, mais aussi d’acceptation et, ultimement, de libération.
Vous avez détruit la beauté du monde est donc un ouvrage qui fait réfléchir, une bande dessinée à conserver pour ne pas oublier. Et, surtout, pour mieux comprendre.