Écrite et mise en scène par Amélie Dallaire, qui interprète aussi le personnage de Françoise aux côtés de son ami Mathieu Quesnel incarnant son amoureux Fred, La fissure met en scène un couple à fleur de peau et l’Esprit de leur relation, ce troisième personnage qu’on ressent, mais qu’on ne voit jamais. Ici, seuls les mots (pas toujours les bons) servent à tracer les contours de cette chose invisible et impalpable.
Comme d’habitude, à l’heure prévue, ni trop tôt, ni trop tard, Fred rentre du travail pour retrouver sa Françoise plongée dans l’obscurité totale de leur appartement sens dessus dessous. Désarçonné, il veut comprendre alors qu’elle, trop nonchalante, n’en fait aucun cas, comme si ce chaos était normal. Au milieu de ce bourbier, le couple tentera de trouver des solutions concrètes pour préparer un souper décent à ses invités, et les émotions brouilleront vite les corps et les esprits. Hier, Françoise et Fred se comprenaient, aujourd’hui, ils sont enlisés dans un épais fouillis. Déconnecté comme son ordinateur (dont la connexion vacillante dépend du modem de la voisine) et vide comme son frigo, le couple chancelle. Noyé dans un « ordinaire » dont il tente péniblement de s’extirper, le duo cherche à se comprendre et à ramasser son bordel.
Dans La fissure, texte lu pour la première fois lors du 17e Festival du Jamais Lu, en 2018, le malaise profond s’exprime à mesure que s’égrènent les petites querelles. Dans l’aujourd’hui qui est demain par rapport à hier, les différends deviennent flagrants, faisant basculer le couple dans un autre monde, un monde insolite qui passe par le quotidien assommant et qui transpire dans les atmosphères ambiguës. Sous leurs dialogues anodins, et parfois absurdes se joue une autre histoire qui a l’apparence de la normalité. Les dits et les non-dits sont à la fois lourds et drôles. Véritable sculptrice d’ambiance, l’autrice tend vers une écriture qui se manifeste sans trop dire, à travers le ton, les gestes, les pulsions de ses personnages.
En fait, on dit quelque chose en disant autre chose. Dallaire laisse de la place à l’imagination du spectateur, ce qui peut devenir très étrange: une conversation sur des pâtes au jambon, un calembour douteux, un toucher inapproprié, un silence en trop, des regards, un malentendu… Un malaise qui provient d’on ne sait où. On adore. Au final, on ne sait (ni ne saura) jamais à quoi ils pensent ni qui ils sont véritablement. Et à quoi bon s’époumoner toute la nuit, puisque comme dirait Françoise: « Ça prendrait des années pour trouver une phrase qui résumerait ce que je ressens. » À la sortie de la salle, encore remués, on se plaît à croire que Fred et Françoise réussiront leur ménage. Ça tombe bien, c’est le printemps!
La fissure, jusqu’au 24 mai à La licorne.
Un commentaire
Pingback: « Quasi niente », le rien ou presque de la vie au Festival TransAmériques - pieuvre.ca