Deux univers aquatiques et un brin futuristes nous attendaient la semaine dernière à l’espace danse de l’édifice Wilder. Présenté par Tangente, le programme double opposant la pièce Look de Bailey Eng à Breach d’Alexandre Morin navigue dans les eaux troubles d’un monde où l’urgence d’agir se fait sentir.
Dans un premier temps, Bailey Eng nous présentait Look, une courte performance de 25 minutes qu’elle exécutait en solo dans une ambiance presque dépourvue de lumière. Sur ce qui s’apparente à un mât de bateau (et qui est en fait un mât chinois), une créature apparaît dans une quasi-noirceur, donnant l’impression de battre comme un cœur au rythme de la musique. D’ailleurs, tout le tableau rappelle un univers marin, à commencer par les bruits évoquant des sirènes de navire. Puis, cette créature que la chorégraphe et interprète Bailey Eng a nommée « Look » descend graduellement du long poteau en s’entortillant sur celui-ci.
Exploration anatomique, Look met l’accent sur le corps qui se recroqueville, se déplie, se déploie. On ignore si cette créature est humaine ou animale, mais le rythme avec lequel son corps de se meut est bien vivant, lui. Après être descendue, l’interprète se livre à un jeu de mouvements au sol, allant du clin d’œil à des postures de yoga à des positions pas toujours très organiques.
Explorant l’interaction de cette créature avec son environnement immédiat, une fois au sol, l’interprète intègre de petits objets à ses pérégrinations corporelles.
Pièce très physique, Look s’affiche également comme un travail sur l’intériorisation, l’observation en soi et pour soi, ainsi que l’extériorisation anatomique, où l’accent est mis sur un rituel ancré dans la physiologie de l’humain (ou est-ce de la bête?). L’artiste a voulu que cette pièce soit « autant sensorielle que méditative », mais l’aspect méditatif paraît quelque peu occulté de sa démarche.
Et la brèche fut
En deuxième partie de ce programme double était présentée Breach, une pièce d’Alexandre Morin dans laquelle il s’exécute parmi cinq autres interprètes, Ivanie Aubin-Malo, Noémie Dufour-Campeau, Jonathan Goulet, Chloé Ouellet-Payeur et Simon Renaud.
Ici, il ne s’agit pas de se demander si ce qu’on a devant les yeux est humain ou animal: il s’agit au contraire d’une exploration de la hiérarchie entre les humains et les animaux, avec un regard assez alarmiste au sujet de l’état des océans de la biologie marine.
D’une durée de 45 minutes, Breach propose au spectateur de plonger au cœur d’un Marineland où l’amusement fait plutôt place à l’inquiétude. Tout est mis en œuvre pour propulser le spectateur dans une ambiance qui devient de plus en plus angoissante. Et dans un coin de la scène, des épaulards gonflables sont empilés, manifestant à quel point la matière synthétique pollue l’océan de manière irréfutable.
Les mouvements des interprètes se veulent plus lents au début, puis plus affolants, avant de nous laisser avec cette sensation d’urgence, de catastrophe imminente. L’accent est mis sur la respiration qui s’intensifie et sur les soubresauts des corps qui demeurent au sol tout au long de la pièce. Tout ceci n’est pas sans rappeler que les épaulards doivent se hisser hors de l’eau pour reprendre leur souffle.
Outre la trame sonore qui accompagne les déplacements tantôt organiques, tantôt saccadés des interprètes, cette création nous fait également entendre la voix provenant d’une vidéo publiée sur la chaîne YouTube d’Azura Dragon Feather en 2017 et dans laquelle elle parle (en anglais) de l’épaulard comme de son animal totem. L’aspect enjoué de cette voix détonne avec l’ambiance glauque de cette œuvre, décrite par ailleurs comme un « écosystème sonore délirant et hypnotique ». Assez juste.
Englobant le public dans un espace où l’on se sent presque captif, les pièces Look et Breach font appel au point de non-retour atteint par l’humanité. Deux scénographies réfléchies, conscientes de leur environnement, explorant cette idée que, globalement, notre temps est compté et qu’il est urgent d’agir.
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