En économie, le concept d’équilibre est central. Il s’agit de l’une des assomptions principales se retrouvant au coeur de la vaste majorité des modèles économiques, y compris les modèles employés par les législateurs et les décideurs sur des questions allant de la politique monétaire aux changements climatiques, les échanges commerciaux, ou encore le salaire minimum. Mais peut-on s’y fier?
Dans une étude à paraître dans Sciences Advances, Marco Pangallo, Torsten Heinrich et Doyne Farmer se penchent sur cette question dans le contexte simple des jeux, et démontrent que lorsque le jeu en question devient complexe, cette assomption est problématique. Si ces résultats peuvent être transposés dans le domaine de l’économie, cela soulève d’importantes questions sur l’utilité des modèles économiques pour comprendre le monde de tous les jours.
Les enfants adorent jouer au tic-tac-toe, mais ils ont environ 8 ans lorsqu’ils apprennent qu’il existe une stratégie, pour le deuxième joueur, pour toujours obtenir une partie nulle. Cette stratégie est ce qui est appelé un équilibre en économie. Si tous les joueurs agissent de façon rationnelle dans le jeu, ils adopteront une stratégie d’équilibre. En économie, le mot rationalité signifie que le joueur peut évaluer tous les gestes possibles et en explorer les conséquences jusqu’à leur conclusion et ensuite choisir la meilleure décision.
Une fois que les enfants sont assez vieux pour découvrir l’équilibre du tic-tac-toe, ils cessent de jouer parce que la même situation se répète à chaque partie, ce qui devient rapidement ennuyant. Une façon d’envisager cette situation consiste à se dire que la rationalité est un bon modèle comportemental pour les enfants âgés de 8 ans, mais pas pour ceux âgés de 6 ans.
Dans un jeu plus complexe comme les échecs, la rationalité n’est jamais un bon modèle comportemental. Le problème est que les échecs sont un jeu beaucoup plus difficile, suffisamment difficile pour que personne ne puisse en analyser toutes les possibilités, et l’utilité du concept d’équilibre atteint ses limites. Aux échecs, personne n’est assez intelligent pour découvrir le point d’équilibre, et le jeu ne devient donc jamais ennuyant.
Cela illustre que l’utilité de la rationalité comme modèle comportemental pour Monsieur et Madame Tout-le-monde dépend du problème qu’il faut résoudre. Si ce problème est simple, le modèle comportemental est donc adapté. En cas de difficulté plus élevé, l’édifice s’effondre.
Les théories économiques assument de façon quasi universelle qu’il existe un équilibre. Mais est-ce toujours raisonnable d’agir de la sorte? Pour faire la lumière sur cette affaire, M. Pangallo et ses collaborateurs ont étudié les moments où il est justifié de s’attendre à un équilibre dans des jeux. Il ne s’agissait pas d’étudier simplement le tic-tac-toe ou les échecs, mais plutôt d’étudier tous les jeux d’un certain genre.
Les chercheurs ont créé des jeux de toute pièce et fait s’affronter deux joueurs artificiels pour observer les résultats. Ces joueurs inventés s’appuyaient sur des stratégies réussissant à imiter les gestes posés par de véritables personnes lors d’expériences psychologiques. Lesdites stratégies s’apparentaient à imité ce qui a fonctionné par le passé, ou à choisir des gestes ayant le plus de chances de permettre de contrer les récentes décisions des adversaires.
Durant leurs tests, les scientifiques ont constaté que la notion d’équilibre est écartée lorsque les jeux se complexifient et que les joueurs sont montés les uns contre les autres dans un contexte de compétitivité. Lorsque cela se produit, les stratégies changent constamment, habituellement de façon chaotique, et les adversaires n’atteignent jamais l’équilibre. Cette notion perd donc son utilité comme cible comportementale à atteindre.
Plusieurs des problèmes auxquels les acteurs économiques doivent s’attaquer sont trop complexes à modéliser en utilisant un jeu simple à l’image de ceux utilisés par les scientifiques. Malgré tout, leurs travaux démontrent qu’il existe un grave problème potentiel. Plusieurs situations survenant dans le monde de l’économie sont complexes et compétitives: cela mène à l’hypothèse selon laquelle l’assomption de l’existence d’un équilibre est erronée.
Si tel est le cas, de nouvelles approches sont nécessaires pour simuler le comportement de joueurs et prendre en compte le fait que les vraies personnes ne sont pas douées pour résoudre des problèmes complexes.
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