Après The Lobster (2015), le cinéaste grec Yorgos Lanthimos dépeint la reine Anne d’Angleterre (1665-1714) rappelant le dualisme de Thomas Hobbes, l’austérité d’Adam Smith et les écrits du libertin Marquis de Sade, dans le film The Favourite (2018) sorti en salle le 14 décembre. Un film historique horrible teinté d’une bonne couche d’humour noir.
Les cinéphiles marqués par l’actrice Fanny Ardant se faisant poudrer de la tête aux pieds dans le film Ridicule (1996) de Patrice Leconte verront le nouveau long-métrage sur le 18e siècle comme un pastiche se déroulant de l’autre côté de la Manche. Le pauvre seigneur d’une région française s’était rendu à Versailles avec l’objectif de recevoir l’appui royal pour construire des digues afin d’assécher les terres et les rendre cultivables pour éviter la famine. Malgré sa cause noble, le héros se heurte à la futilité de la noblesse et doit jouer sa réputation à la cour du roi en participant à des joutes d’influences ridicules. En Angleterre, Abigail Hill jouée par Emma Stone n’a que sa personne à offrir lorsqu’elle postule en tant que servante au palais de la reine.
Yorgos Lanthimos a redonné un rôle de pilier à Rachel Weisz, sous le couvert de Lady Sarah qui use de ruses psychologiques et affectives pour contrôler la reine depuis longtemps, et par ricochet le royaume. Sans préméditation, la nouvelle venue, Abigail, va vite saisir l’univers conflictuel dans lequel elle baigne et saisir chaque opportunité pour venir s’insérer entre les deux femmes et chasser sa rivale. L’ascension d’une fille du peuple est mise en scène et non la quête d’une héroïne. À l’aide de travellings, de plans en contre-plongée et de l’utilisation du fish-eye, le cinéaste nous enferme dans le palais au point de nous donner la nausée. Le cumul des scènes érotiques rend les entrailles du pouvoir de plus en plus moites et froides.
Si The Lobster mettait en scène un amour naissant entre un club de rencontre dictatorial et les célibataires révoltés en périphérie, le cinéaste ne nous présente pas le fantasme d’un trio lesbien ni des personnages qui ne cherchent qu’à obtenir plus de pouvoir. Bien que les deux femmes soient prêtes à faire don d’elles-mêmes pour améliorer leur condition, un accent fascinant est mis sur le compromis du pouvoir. À l’enjeu d’augmenter les impôts du peuple britannique afin de poursuivre la guerre contre la France, vient s’ajouter les conditions personnelles de la paysanne contre la révolte populaire et de la femme de militaire qui veut la guerre à tout prix. Autour, la cour fait son cirque.
La reine Anne n’a pas droit à son aura, mais contrairement au passage du représentant de Dieu sur Terre à homme de chair et d’os dans la conscience populaire du film Un peuple et son roi (2018) de Pierre Schoeller, c’est la trivialité de son existence qui trahit son statut royal. Ce personnage pourrait figurer parmi les mondaines qui ont les moyens de se faire faire des robes dispendieuses, mais qui ne sont pas dignes de porter la signature du couturier Reynold Woodcock, d’après la critique sociale du film Phantom Thread (2017) de Paul Thomas Anderson.
Au scénario des révolutions de 1789 et 1776 mâché et remâché par les producteurs de superproductions, c’est-à-dire une opposition entre un empire maléfique et un groupe de rebelles disparates, ainsi qu’une individualité à la western: le bon, le mauvais, le moche et la belle; l’organisation du récit de Yorgos Lanthimos ne nous conforte pas dans de vieilles recettes.
Même si le film est projeté depuis deux mois, il n’est pas trop tard pour faire un saut de trois siècles.
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