L’application par taches chez Vincent Van Gogh (1853-1890) et la multitude de personnages détaillés chez Jheronimus Bosch (1450-1516) ont un microcosme en commun. Cet effet troublant et stagnant de la peinture néerlandaise semble intrinsèque à cette culture située entre la campagne et la mer.
À Rotterdam, la planification urbanistique à grande échelle fait croire à un Dubaï européen et la répétition de chaînes de restaurants et de magasins à la satisfaction des touristes pour remplir ces complexes semble dédoubler Las Vegas outre-Atlantique. Tenant compte du fait que les Néerlandais disposent d’autant de superficie parce que la ville a été bombardée durant la Seconde Guerre mondiale et que les nouvelles architectures empruntent leur esthétique aux infrastructures maritimes, la comparaison avec les villes de Berlin et de Chicago est de mise.

Au Musée Boijmans Van Beuningen, l’exposition Boijmans in the War: Art in the Destroyed City, présentée jusqu’au 27 janvier 2019 examine les activités du musée sous occupation nazie après les bombardements de 1940. Une partie est dédiée à l’opposition au fascisme entre les deux guerres. À l’époque, la ville portuaire moderne abritait une vie nocturne vibrante teintée de jazz accueillant architectes progressistes, graphistes en plein éblouissement, ainsi que toutes les nouvelles formes d’art visuel. L’association d’artistes De Branding exposait les avant-gardistes internationaux, soutenue par la communauté d’affaires. La pauvreté endémique donnait un caractère engagé aux expositions dénonçant les injustices sociales.
À proximité de la mer du Nord, à l’embouchure du Rhin et de la Meuse, Rotterdam incarne le cœur industriel du pays autour du plus grand port européen. L’urbanisme et l’architecture du nouveau quartier Céramique de Maastricht ne sont que le croquis des constructions qui s’y déploient, à la différence que l’esthétique maritime semble croiser deux styles visibles à Chicago. L’apparence futuriste relève d’une simplicité spatiale tels les pavillons du Illinois Institute of Technology (IIT) dessinés par Mies van der Rohe et de l’intégration de formes appartenant aux transports, ces habitacles en mouvements, telles les Prairie house de la banlieue Oak Park dessinées par Frank Lloyd Wright, dont les hublots.

À mi-chemin, ce savoir-faire avant-gardiste est transposé dans l’art visuel de la période 1960-75. Les représentations figuratives de la vie de tous les jours et de la culture populaire dans le Pop art, les diverses tendances à l’abstraction, l’emploi de formes géométriques, ainsi que plusieurs autres connexions créatives ne sont pas exclusifs aux États-Unis. L’œuvre Computerstructuur 4A 1969 (1969) de Peter Struycken est un code-barre carré, fréquemment utilisé au 21e siècle.
Au Kunsthal, une exposition exhaustive sur les 100 ans de l’art cinétique occupe un espace considérable à l’intérieur des 3300 mètres carrés du lieu jusqu’au 20 janvier 2019.
Tronie
À La Haye, le train nous débarque dans un autre quartier Céramique, une gare en forme de cube de verre carrelé entourée d’édifices contemporains. Il ne suffit que de tourner quelques coins de rue pour retrouver le charme de la vieille ville traversée de canaux plus étroits que ceux de Rotterdam. Après avoir échappé à ce nouveau développement taillé à l’X-Acto, un passage par L’Escher au Palais, musée consacré à l’artiste M.C.Escher (1898-1972) qui usait de la géométrie pour dessiner des situations impossibles, ainsi que par Madurodam dévoilant une maquette géante des Pays-Bas à l’échelle 1:25 aiguiseront le compas dans votre oeil.

Au musée Mauritshuis, La jeune fille à la perle (1665) de Johannes Vermeer perce la série de portraits des maîtres du siècle d’or néerlandais au 17e siècle, Rembrandt van Rijnet Peter Paul Reubens. Tronie plutôt que portrait, l’artiste a imaginé cette femme qui le regarde. Aucun modèle assis devant le peintre ne portait la robe exotique, le turban oriental et la grande boucle d’oreille. La lumière qui effleure la douceur de son visage, la lueur sur sa lèvre humide et l’éclat de la perle relève du talent de l’artiste à insuffler la vie à ce fantasme.
À l’exposition annuelle d’art de rue Inside 18 dans un bâtiment adjacent, le recours à la géométrie afin de créer des compositions minutieuses amenait à se questionner sur l’existence d’un style propre aux rues de La Haye. «Ces peintures-là ont été créées dans le cadre du concours Graffiti Without Gravity, elles sont affichées lorsque l’Agence spatiale européenne (ESA) tient des événements», affirme un organisateur en me montrant le panneau du gagnant. Shane Sutton a illustré un astronaute en combinaison tentant d’insérer un fil dans le chas d’une aiguille.
De retour à Rotterdam, les photographies des surfeurs prises à travers le monde par Stephan Vanfleteren exposées au Kunsthal renvoient l’impression d’une communauté imaginaire. Pour un peuple dont la survie dépend de la maîtrise des eaux sur son territoire, ces enfants de la mer représentent-ils des héros post-apocalyptiques ?