Suivant l’improbable périple d’un groupe d’enfants qui, suite à une apparition du Christ, décide de partir à Jérusalem pour libérer son tombeau, La croisade des innocents est un roman graphique touchant qui traite d’utopie, et de la perte des illusions.
La croisade des innocents nous transporte au 12e siècle, à une époque bien différente de la nôtre, où rien ne protégeait les enfants du monde des adultes. Colas, un garçon ayant fui la maison familiale et les violences de son père, travaille sur une ferme dans des conditions proches de l’esclavage avec des orphelins et d’autres jeunes abandonnés par leurs parents. Lors d’un rare jour de congé, sous la glace épaisse recouvrant le lac, il aperçoit… Jésus! Se sentant investi d’une mission divine, Colas convainc une douzaine de ses amis de se joindre à lui, et armés seulement de la parole, de la prière et d’une « noix sacrée » en guise de talisman, ils quitteront le duché de Normandie à pied en direction de Jérusalem, dans le but d’y libérer le tombeau du Christ et de réussir « là où les grands ont échoué ».
Il ne faut pas se fier à son relent de catholicisme puisque, loin des dogmes et du prêchi-prêcha religieux, La croisade des innocents dépeint avant tout une société moyenâgeuse, dans laquelle la religion constituait la seule évasion. À travers la quête de ce groupe d’enfants crasseux, affamés et laissés à eux-mêmes, l’album illustre comment naissent et meurent les utopies, et comment, au contact de la dure réalité, mêmes les plus nobles idéaux peuvent s’avilir, et ces petits héros aux « âmes pures » en viendront à mentir, à vendre des indulgences ou à voler les gens pour survivre aux rigueurs de la route. Si cette morale n’est pas typique pour une fable, elle saisit comme une douche froide par son réalisme.
Chloé Cruchaudet s’occupe à la fois du scénario, des dessins, et de la coloration de La croisade des innocents. Dans un style artisanal derrière lequel on sent chaque coup de crayon et de fusain, ses illustrations possèdent une belle naïveté, qui vient atténuer la dureté de l’univers dans lequel son intrigue prend place. Sa coloration se limite à des couleurs ternes, presque effacées, à l’exception des représentations d’iconographies religieuses (l’intérieur des Églises, Jésus, la bannière des enfants, etc.) qui se parent de couleurs vives et éclatantes, ce qui les fait vraiment ressortir du lot. L’artiste insère également des extraits de poèmes de Rutebeuf, d’Arnaud de Ribérac, ou de Chrétien de Troyes pour séparer les cinq saisons de l’album.
C’est à un voyage mémorable sur les chemins de l’utopie que nous convie Chloé Cruchaudet avec La croisade des innocents, un conte médiéval à hauteur d’enfants qui ne laissera personne indifférent.
La croisade des innocents, de Chloé Cruchaudet. Publié aux Éditions Soleil, 176 pages.
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