Si les partis politiques centraux ont fait de l’antitrumpisme un argument électoral, le parti d’extrême-droite a fait une percée aux dernières élections fédérales avec l’obtention de 13,5% des voix. Coincée entre deux, l’Allemagne qui a renoué avec l’universalisme de Goethe est-elle à la dérive?
À l’initiative du Parlement européen, la Maison de l’histoire européenne ouverte à Bruxelles en 2017 a pour objectif d’expliquer les divers bouleversements du 20e siècle, lit-on dans le webzine islandais Reykjavik Grapevine du 10 janvier. Le collaborateur Valur Gunnarsson remet en question cette histoire unificatrice, ne sert-elle pas les besoins de l’Union européenne? Il rappelle qu’au lendemain de la Première Guerre, il y a 100 ans, le Danemark a dû laisser l’Islande pour reprendre le duché de Schleswig à l’Allemagne.
Après la conquête des dernières colonies espagnoles en 1898, les États-Unis ont pris la première place économique à l’échelle du globe, ce qui n’a pas empêché le krach boursier le 24 octobre 1929. «La crise a brisé tout ce qui empêche chaque homme de se poser complètement le problème de sa propre destinée, à savoir les habitudes, les traditions, les cadres sociaux stables, la sécurité; surtout la crise, dans la mesure où on ne la considère pas, en général, comme une interruption passagère dans le développement économique, a fermé toute perspective d’avenir pour chaque homme considéré isolément», écrit Simone Weil dans Impressions d’Allemagne en 1932.
Après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, l’Allemagne reprend sa place au centre de l’Europe et pose des conditions non négociables à propos de la monnaie unique. Ainsi, la Banque centrale européenne est calquée sur la Bundesbank, privilégiant d’une part la stabilité monétaire, et exigeant d’autre part que tout État adoptant la monnaie européenne continue d’assumer seul ses dettes, d’après Nouvelles relations internationales paru en 2017.
L’Allemagne a investi 20 milliards d’euros issus de fonds publics en 2016 pour nourrir, soigner et intégrer le million de migrants arrivé en son sol depuis 2015, le plus grand afflux de réfugiés depuis la Seconde Guerre. Alors qu’ailleurs en Europe, de Calais à Budapest, les autorités commandaient des barbelés pour arrêter la vague migratoire.
Job Center
Selon l’Institut allemand de recherche en économie (DIW), la somme de 20 milliards d’euros issue de fonds publics a «produit le même effet qu’un plan de relance et profite en dernier ressort aux entreprises et aux employeurs», rapporte le Monde diplomatique de mars 2017.
Pour obtenir l’autorisation de travail requis par le Job Center, le nouvel arrivant doit suivre des cours de langue et d’initiation à l’histoire, aux institutions, à la culture et aux mœurs du pays d’accueil. En contrepartie, le patronat n’hésite pas à baisser le salaire minimum afin de recruter pour moins cher les réfugiés qui ont besoin d’un stage pour valider leurs compétences. N’empêche que cette main-d’œuvre qui ne connait pas nécessairement ses droits n’est pas à la source de la dérégulation du marché du travail.
Mis en place entre 2003 et 2005, le modèle allemand prétend faciliter la transition du travailleur du chômage vers l’emploi. «Protéger les plus faibles, ce n’est pas les transformer en assistés permanents de l’État», mais leur donner les moyens de – et éventuellement, les obliger à – «peser efficacement sur leur destin», énonce le nouveau président Emmanuel Macron devant le Parlement français le 13 juillet 2017, rapporte le Monde diplomatique de septembre 2017. Cependant, le Job Center allemand est passé de 300 000 recrues en 2000 à près d’un million en 2016, et la proportion de travailleurs pauvres rémunérés à moins de 979 euros par mois est passée de 18 à 22% pour cette période. Une augmentation qui révèle l’envers de ce modèle : transformer des emplois réguliers en postes précaires.
L’instigateur de ces réformes, Peter Hartz a été condamné en 2007 à deux ans de prison avec sursis et à 500 000 euros d’amende, en tant qu’ex-directeur des ressources humaines chez Volkswagen, pour avoir acheté la paix sociale en arrosant les membres du comité d’entreprise de pots-de-vin, de voyages dans le Sud et de services de prostituées.
À l’Ouest
«Le gouvernement américain vient de déclarer une guerre culturelle», a déclaré le candidat social-démocrate Martin Shulz en juin 2017 devant l’attitude protectionniste du nouveau président, rapporte le Monde diplomatique de janvier.
En tant que partenaire économique, Donald Trump ne recueille que 11% de la confiance des Allemands dans un sondage mené en juin 2017, contre 25% pour le président russe. Le lien entre les deux pays avait déjà été fragilisé par l’annonce, 10 ans plus tard, de l’espionnage par les services américains du téléphone mobile de la chancelière allemande Angela Merkel, sous la présidence de Barack Obama.
Sur le plan militaire, les intérêts des deux pays divergent depuis longtemps. L’Allemagne a refusé d’envoyer des troupes en Irak en 2003 et ne consacre à la défense que 1,2% de son budget alors que Donald Trump fait pression sur les pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour qu’ils respectent leur engagement du sommet de Riga en 2006, soit 2% de leur budget.
L’isolationnisme du nouveau président américain va de pair avec la vente d’armement, les États-Unis étant le plus grand producteur au monde. Une grande partie des réfugiés pris en charge par l’Allemagne sont des victimes en provenance de guerres impliquant Washington.
Le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur la réduction des gaz à effet de serre handicape l’industrie allemande qui comptait exporter ses technologies vertes en Amérique.
À l’Est
Situé entre Berlin et Varsovie, le groupe de Visegrád apprécie l’informalité anti-intellectuelle et le nationalisme du président Donald Trump.
Composée de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Pologne, cette structure de coopération informelle creuse un fossé vis-à-vis l’Europe occidentale en général. Pourtant, l’Allemagne a été la mamma, la banque et le parrain de la région à partir de la réunion fondatrice en 1991 jusqu’à leur intégration dans l’Union européenne en 2004, rapporte le Monde diplomatique de janvier.
Les propos et politiques racistes de Donald Trump font échos auprès de ces peuples épouvantés à l’idée que l’Union européenne leur impose des immigrés musulmans via le respect du droit d’asile en vigueur en Allemagne.
Le groupe de Visegrád veut mettre sur pied un contre-modèle européen en opposition à ce qu’il décrit comme «une ingénierie sociale de gauche, qui aurait labouré les sociétés occidentales pour mettre en œuvre une vision du progrès associée à la sécularisation, à l’écologie, à la célébration des minorités, au cosmopolitisme et au sécularisme», analyse Piotr Buras du Conseil européen des relations internationales.
À la différence des pays du Benelux et de l’Autriche, la position subalterne des quatre pays en transition postsoviétique se traduit en colère anti-immigration. Cette réaction anime l’extrême-droite allemande, deuxième force politique dans l’est du pays depuis les élections du 24 septembre 2017.
Hostile à la monnaie unique et à la dissolution des identités nationales, le Royaume-Uni est l’autre joueur qui vient brouiller le jeu de cartes européen. Vitrine de cet axe libéral-atlantiste, le webzine The Calvert Journal transmet son contenu «New East» dans la langue du commerce international… celle de Shakespeare, jadis.
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