On le sait, Aaron Sorkin est de loin le scénariste le plus brillant et remarquable de sa génération, maniant l’intelligence comme personne et les mots et les dialogues comme un véritable dieu.
Après avoir travaillé avec plusieurs des meilleurs cinéastes du moment, le voici fin prêt à se lancer un nouveau défi. Dommage, toutefois, qu’il se trouve en quelque sorte face au même sort que Taylor Sheridan avec son Wind River sorti plus tôt cette année, livrant ce qui semble vraisemblablement être une version édulcorée de son talent.
Au final, le réalisateur aurait certainement mérité l’aide d’un confrère pour élever ses idées, et du même coup son Molly’s Game.
Sorkin a toujours eu un faible pour les mésadaptés sociaux qui ont changés le monde à leur façon grâce à leur indubitable vision. Si son talent a certainement été bien utilisé avec Bennett Miller et le brillant Moneyball, après avoir atteint un sommet inestimable avec le remarquable The Social Network de David Fincher sur le créateur de Facebook, il a tout donné ce qu’il avait en termes d’ingéniosité avec l’inimitable Steve Jobs. Et ce bien peu de temps après avoir marqué à jamais la télévision avec l’extraordinaire The Newsroom.
En jouant à nouveau entre la réalité et la fiction, on reste quand même fort surpris de le voir s’intéresser au sort de Molly Bloom, ex-athlète olympique qui s’est recyclée dans les tournois de poker illégaux. Non pas parce qu’il semble inusité de sa part de prendre parti pour un personnage féminin qui ne se laisse pas marcher sur les pieds (lui qui a écrit des rôles féminins fabuleux dans les dernières années, surtout dans The Newsroom, qui a probablement offert le plus beau rôle en carrière à Olivia Munn), mais surtout parce qu’aussi incroyable son histoire puisse-t-elle être, le récit véridique de cette femme particulière n’est pas nécessairement le plus intéressant à se faire raconter. Ce qui n’est pas peu dire, après avoir abdiqué et donné raison quant à la pertinence de faire un film à la fois sur la création de Facebook, ou encore un deuxième film sur l’homme qui se cachait derrière la compagnie Apple.
De plus, tout le travail scénaristique de Sorkin, habituellement la force incarnée de ses œuvres, semble être rapidement mis de côté pour faire place à une mise en scène instable qui, d’une part, tente de copier les effets de style tape-à-l’œil de Danny Boyle, et de l’autre, de donner toute la place aux performances des acteurs qui ont pour ainsi tous droit à leur « monologue à Oscar ». De quoi en arriver à Jessica Chastain dans la peau de la protagoniste qui vient prendre toute la place, militant dur comme fer pour avoir son Oscar. Elle qui a visiblement échoué l’an dernier avec le fort oubliable Miss Sloane.
Celle qui nous a autrefois tant charmées dans The Tree of Life et Zero Dark Thirty, notamment, n’a plus la même nuance de jeu. En effet, elle arbore désormais une approche plus directe et frontale, dénuée de la fragilité et la naïveté qui nous faisait tant craquer à l’époque, comme dans The Help, démontrant une assurance qui, au lieu de nous conquérir,nous laisse de marbre.
C’est dommage, puisqu’elle se fait sans conteste plaisir au centre d’une élégante distribution qui, à l’instar de The Wolf of Wall Street et The Big Short, multiplie toutes sortes de noms de différents prestiges pour faire défiler une panoplie de personnages majoritairement colorés. De fait, si Idris Elba s’en sort très bien et que Kevin Costner est évidemment excellent, on sourcille beaucoup plus avec la présence de Michael Cera qui vient certainement brouiller de façon désagréable la réalité.
La subtilité mange alors une claque, et les tiques de Sorkin ressortent en plus grand lot. On pense entre autre à sa façon de forcer le hasard, de tordre la vérité ou de créer des obsessions relationnelles pour justifier les actes de tout-un-chacun, exhibant de façon plus prononcée que jamais sa fixation sur les relations père-fille dysfonctionnelles. Cela étire les côtés inutiles, et l’on aurait beaucoup gagné à resserrer l’ensemble au lieu de le laisser s’étendre sur 140 minutes.
L’assurance rythmique habituellement réglée au quart de tour de Sorkin stagne au contraire ici avec une histoire qui tourne sur elle-même sans toujours savoir où donner de la tête. C’est d’autant plus navrant de le voir se montrer plus frileux au niveau formel, se contentant de la construction fort classique d’un biopic, favorisant l’ordre chronologique des choses avec quelques va-et-vient dans le temps obligés, couronnant le tout d’une assourdissante narration en voix off qui se la joue cynique et suggestive pour bien être au goût du jour.
Molly’s Game est tout de même loin d’être un échec, le coefficient de talent rassemblé étant trop élevé pour entièrement faire couler le navire. Toutefois, lorsque même les compositions de Daniel Pemberton n’arrivent pas à sortir véritablement du lot, lui qui avait fait des merveilles sur Steve Jobs, cela donne certainement une grosse idée de l’ampleur du problème du projet. Ce dernier manquant clairement d’un angle ou d’une vision pour en justifier tout le reste, autre que de pousser les spectateurs à s’apitoyer sur le sort d’une pauvre riche en détresse, démontrant une quasi-absence de réflexion politique, habituellement la force et le champ d’expertise du créateur.
6/10
Molly’s Game prenait l’affiche en salles dès le 25 décembre.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2017/12/20/le-trip-a-trois-lamour-cest-pas-une-raison-pour-se-mentir/
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