Table 19 possède à priori tout ce qu’il faut pour être un petit film indie autant charmant que gagnant. Pourtant, n’en déplaise à sa tendresse infinie propulsée par son excellente distribution, quelque chose cloche dans ce film qui finit par sonner faux.
Les frères Duplass ont toujours été de fiers représentants du cinéma indépendant et pendant quelques années, ils ont déserté un peu le cinéma pour la télévision. Ils sont de retour avec un nouveau scénario original et renouent sans mal avec toute la tendresse qu’on retrouvait dans leur brillant Jeff Who Lives at Home. Dommage toutefois que la subtilité et la surprise n’ont pas la même efficacité, ce malgré la délicate réalisation de Jeffrey Blitz, finalement de retour au grand écran, dix ans après son excellent Rocket Science.
Le problème, c’est que bien qu’il retrouve la charmante et légèrement agaçante (mais de mignonne façon) Anna Kendrick, qui se montre bien plus à l’aise dans ce genre de petites productions que dans de grosses machineries lourdes de Hollywood, n’en déplaise à la folie démultipliée des Pitch Perfect, c’est que Blitz n’a pas participé au scénario et ce dernier ne semble pas s’entendre avec les Duplass sur le genre de film qu’ils ont envie de faire.
À qui revient la faute alors? Difficile de dire, mais en ensemble, entre la comédie absurde et délirante et la comédie romantique similiexistentielle qui fait larmoyer, ça finit par ne pas fonctionner et par s’étirer puisqu’on réalise que la simple prémisse de la table des laissés pour contre d’un mariage devient bien moins amusante lorsqu’on tente de lui insuffler énormément de mélancolie. Dosage que le culte Wedding Crashers ou le plus intime The Five-Year Engagement parvenaient à mieux effectuer, par exemple.
C’est que tous les personnages à cette table sont nourris de rêves vains, d’espoirs impossibles et de regrets, et le film se donnera le mandat de leur apporter rédemption d’ici la fin de la réception. Bien sûr, la distribution est exemplaire et on y trouve des génies de la comédie comme Stephen Merchant, Lisa Kudrow, Craig Robinson et June Squibb, en passant par le petit nouveau Tony Revolori, tous capable des nuances nécessaires pour interpréter ce qu’on leur demande, mais les situations et plusieurs dialogues seront tellement forcés et livrés avec un tel manque de doigté, qu’on ne fera que grincer des dents.
On donnera également l’impression de ruiner l’immense talent de la brillante Becky Ann Baker dans un rôle de service foncièrement ingrat qui ajoute aux nombreuses improbabilités de cette cérémonie de mariage qui dérape, mais pas trop. Quand on veut rester trop gentils…
Puisque voilà, ce sera un peu beaucoup le problème du film, soit l’incapacité d’en faire juste assez. Pris entre la capacité d’en faire trop ou pas assez, Table 19 finit par stagner. Et ce, en plus de donner un étrange sentiment d’égocentrisme comme morale, alors que chaque individu, même si on aime clamer la marginalité et la force du plus grand nombre, sera au final propulsé par ses propres motivations, poussant tout le reste au diable.
Restera donc une proposition techniquement accomplie et délicate, s’avérant pas mal belle visuellement et pas désagréable pour les oreilles. Facile à regarder et à apprécier, mais plus dure à repenser ou à garder en tête. Une sage production qui vaut bien plus que tant d’autres quand même (par exemple les comédies vulgaires et insuffisantes comme Hollywood sait en faire par millier), mais pas assez pour passer l’épreuve du temps ou de la postérité. Venant d’autant de talent, disons qu’on espérait quand même un peu mieux.
6/10
Table 19 prend l’affiche en salles ce vendredi 3 mars.