Une salle de conférence anonyme et grise. Beaucoup de têtes blanches, mais aussi beaucoup de jeunes, pour la plupart des hommes. Au milieu des gobelets à café vides, quelques drapeaux confédérés, des dépliants.
Et tout d’un coup, vers la fin du discours charmeur et articulé d’un jeune homme à la coupe de cheveux mi-hipster, mi-hitlérienne…
« HAIL TRUMP! HAIL VICTORY! » Les saluts nazis fusent d’un peu partout dans la salle.
Sommes-nous en 1930?
Pas du tout. Nous sommes en novembre 2016, à Washington, quelques jours après la victoire de Donald Trump, et la alt-right, cette nouvelle branche de la droite (alternative right) célèbre la victoire de ce dernier.
Que s’est-il passé?
Propagande polie
C’est Richard Spencer, un des partisans les plus actifs de cette doctrine, et celui qui animait d’ailleurs la conférence mentionnée ci-haut, qui aurait inventé le terme. La alt-right pourrait se définir par « un ensemble d’idéaux d’extrême-droite centrés sur « l’identité blanche » et la préservation de la civilisation occidentale ».
Des termes quelque peu beiges qui ne viennent pas trop mettre la puce à l’oreille; voilà exactement le but recherché, estime Francis Langlois, professeur d’histoire au Cégep de Trois-Rivières et membre associé de la Chaire Raoul-Dandurand. « Suite aux attentats d’Oklahoma City dans les années 90 et la lente autodestruction du Ku Klux Klan, la droite radicale a dû revoir sa façon de faire, et ça passe entre autres par la propagande de termes plus polis, qui peuvent plus faire leur chemin jusqu’aux médias nationaux sans se faire censurer. »
En effet, constatant que la violence n’était pas un médium crédible pour faire passer leur message, beaucoup de partisans de l’extrême-droite se sont tournés vers d’autres avenues. Fini les draps de fantômes et les torches dans la nuit! Alors qu’ils rejetaient l’establishment en bloc, jugeant le tout corrompu, ils ripostent maintenant avec les armes de l’ennemi. On tente d’obtenir un siège au Sénat, comme David Duke, ancien grand sorcier du KKK dans les années 70, ou dans des émissions de radio en ligne, comme Don Black, ancien membre haut gradé d’une filiale du groupe en Alabama. Il y a également l’option des « think tank », ces groupes de réflexion qui forment des laboratoires d’idées… mais qui demeurent plus ou les mêmes théories sur le racisme scientifique, le paléoconservastime et autres suprématies blanches. « Tous ces groupes font la promotion du concept d’un White Genocide, d’une discrimination raciale contre les Blancs », résume M. Langlois.
Richard Spencer, président du National Policy Institute, est l’une des figures de lance de ce mouvement, qui attire autant les jeunes que les vieux. Fini le stéréotype du sudiste sorti du bayou avec sa carabine et trois dents en moins! Spencer est un homme bien mis, avec deux diplômes d’universités américaines prestigieuses en poche et un discours éloquent et clair. Il a un sourire ravageur… et toutes ses dents.
Sign up here
Internet est devenu la planche de salut de ces organisations. Du forum de discussions aux simples GIFs, en passant par les vlogs sur YouTube, ce médium offre un anonymat pratique à ce type de propagande. L’humour semble être le canal privilégié pour faire circuler certains discours. Quoi de mieux qu’une grenouille coiffée d’une kippa, regardant le World Trade Center s’effondrer d’un air malicieux, pour faire passer un message…tout cela sous le couvert de la blague, au cas où les réactions seraient trop vives. L’écran sert de masque à ceux qui autrefois utilisaient un drap.
Richard Spencer s’était également plaint que beaucoup ne comprenaient pas son « sens de l’humour », lorsqu’il a cité en allemand des phases qu’on retrouve dans des films de propagande nazie lors de conférences, et a expliqué que le salut nazi était fait sous une forme « d’ironie et d’exubérance ». Une version alternative du salut nazi, voilà!
Il est également difficile pour les services de sécurité de faire la différence entre un « troll » un peu trop dynamique sur les forums et un partisan réellement prêt à l’action. Il était plus facile lorsque quelqu’un se rendait physiquement à une réunion d’une organisation X de constater son état mental par d’autres.
Ban Bannon?
Alors que Spencer cherche à faire du bruit pour gagner du crédit public, quelqu’un d’autre s’est trouvé un siège très confortable, à l’ombre de celui du président. Stephen K. Bannon n’a plus besoin de présentation. L’ancien Marine, opérateur de marché et producteur de films, est un très vieil ami de Donald Trump et aurait travaillé au succès de sa campagne gratuitement. Le président n’étant pas un homme ingrat, il s’est empressé de lui offrir un poste de conseiller de haut niveau sitôt élu. Beaucoup attribuent à l’homme l’idée du « Muslim Ban ».
L’homme a certainement eu un parcours intéressant. Il aurait vécu dans l’ombre la majorité de sa vie, jusqu’à son arrivée aux commandes de Breitbart News, une plate-forme médiatique d’extrême-droite. Dans une émission dans laquelle il interviewait Donal Trump, en 2015, Bannon se plaignait que les trois quarts des CEO à Silicon Valley étaient originaires de l’Asie du Sud-Est. Il demandait au futur président si les étudiants étrangers, qui dépensent des milliers de dollars chaque année aux États-Unis et qui sont des diplômés qualifiés, ne devraient pas plutôt rentrer chez eux par la suite. Trump pataugeait un peu, mais Bannon était ferme : qu’ils partent!
Il a aussi suggéré que seuls les détenteurs de propriété devraient être en mesure de voter, que ses enfants ne fréquenteraient jamais une école juive. Mais Bannon emploie des termes polis pour se décrire : c’est un économiste nationaliste. « J’ai très peur de voir les futures actions d’un homme de cette trempe, avec les informations qu’il détient maintenant, avec la position qu’il a », révèle M. Langlois.
Mi-figue, mi-raisin
Beaucoup de membres du cabinet de Trump sont de la droite, et partagent les valeurs propres à ce mouvement, mais peu semblent, ouvertement, avoir des opinions aussi extrêmes que celles de Bannon.
« Je crois que Trump a cru saisir une opportunité en ne s’aliénant pas cette base électorale. Il a voulu surfer sur cette vague de la droite qui semble connaître un regain de popularité, mais je ne crois pas qu’il partage ces vues. En fait, je crois que lui-même a de la difficulté à faire la différence entre ses idéaux véritables, le personnage qu’il incarne et la réalité! » dit-il. « La vérité, c’est que les Blancs seront la plus grosse minorité aux États-Unis en 2050, et la population sent que le vent tourne, et certains ont peur du changement et s’accroche aux idéaux d’un monde qu’ils sentent à la dérive. »
« Beaucoup de républicains voteraient pour une can de thon si c’était le candidat proposé par le parti, d’autres refusaient d’embarquer dans le train Clinton et maintenant, on se retrouve avec Trump comme président! Mais je ne crois pas que la majorité des électeurs soient d’accord avec ses idées racistes », révèle M. Langlois.
L’influence de l’alt-right est certaine, et ce n’est pas nécessairement pas le bruit qu’ils font directement à l’intérieur de la Maison-Blanche, chuchotant à l’oreille de Trump, comme le fait Stephen Bannon à Saturday Night Live, en absurde démon squelettique machiavélique, qui est dangereux.
C’est le silence choqué de gens qui entendent le terme White Genocide et ne disent rien. Ceux qui rient, un peu honteux, en cachette, de ces « blagues », sur Internet. C’est l’acceptation tranquille du fait que les crimes haineux sont en hausse de 30% à New York depuis l’élection de Trump.
Mais la rue n’est pas silencieuse. « Les manifestations contre le « Muslim Ban » dans les aéroports et les marches de soutien aux femmes depuis son élection rappellent que Trump a été élu de façon minoritaire et que la population ne pliera pas à toutes ses envies », observe monsieur Langlois.
Un vacarme nécessaire pour bien des gens.