En voilà une histoire qui déménage! Dommage toutefois que les origines singulières de l’empire qu’est McDonald’s doivent se contenter d’un traitement aussi ordinaire malgré une performance dévouée de Michael Keaton. The Founder devient alors une curiosité rapidement oubliée.
Les films biographiques n’ont pas toujours besoin d’être conventionnels et ils ont parfois besoin de bien peu pour sortir des sentiers trop battus. Bien sûr, un I’m Not There, ça décoiffe au même titre qu’un Steve Jobs, mais, même si plusieurs faits ont été altérés, difficile de surpasser la barre qu’a établi The Social Network il y a plusieurs années. Cette véritable leçon de cinéma, de montage, de musique, de dialogues, de scénario, de… Bref le film dont tout le monde s’était moqué au départ, mais qui s’est avéré être l’un des piliers cinématographiques les plus importants du 21e siècle.
Certes, si le personnage qu’on nous amène ici est quelque part aussi hypnotisant qu’un Steve Jobs ou un Amadeus, probablement de par l’interprétation qu’en fait le grand Keaton, tout droit sorti des lauréats aux Oscars Birdman et Spotlight, il y a également dans le récit en soi tout le potentiel nécessaire pour en faire un film important. Les thèmes se succèdent par milliers et il y a moyen d’y trouver toute la définition tout comme le sort de l’Amérique en entier dans l’histoire pleine de rêve, d’espoir, de folies, de déceptions, de vols, de trahisons et plus, dont sont constituées les origines de la chaîne de restauration rapide McDonald’s, l’une des figures les plus emblématiques du continent américain.
Malheureusement, sans un Aaron Sorkin à l’écriture ou un David Fincher aux commandes, difficile de faire ressortir ce qui devrait vraiment importer et, fidèle à ses habitudes, bien qu’il s’accompagne cette fois des belles mélodies de Carter Burwell après Thomas Newman, John Lee Hancock sabote de beaucoup le potentiel de son récit, mais aussi de sa belle distribution pour un film rassembleur, mais peu marquant quant à la postérité.
Après tout, Lee Hancock est devenu un spécialiste des faits vécus et, si certains ont plus de cachet que d’autres, c’est souvent les plus inattendus qui s’attirent le plus d’attention. Par exemple, s’il a réussi à rater sa reproduction de la chute de l’Alamo, il a depuis l’inoffensif The Blind Side, garanti à ses films au minimum une nomination aux Oscars.
Le problème, bien que le scénariste Robert D. Siegel ne manque pas de talent puisqu’il l’a prouvé avec le brillant The Wrestler (entre les mains de l’ingénue Darren Aronofsky) tout comme de sa participation au mésestimé film d’animation Turbo, c’est qu’on est ici obsédé par l’envie de détailler les faits chronologiques sans s’intéresser aux véritables émotions et aux véritables thèmes qui prennent forme dans le cœur même du récit. Ainsi, de par son sentimentalisme obligé et ses baisses de régime fréquentes, The Founder est plus préoccupé par le désir de faire ressentir au public qu’à ses personnages.
Oui, la nuance paraît minime, mais, si la passion, saine ou malsaine, arrive toujours à point, elle n’est jamais secondée ni même amplifiée, toujours virée de bord au premier tournant de par une prise de conscience plus ou moins nécessaire. Dans le sens où la complaisance prend beaucoup de place en démontrant les deux frères comme de pauvres êtres contre un Goliath trop puissant, au même titre de la pauvre femme délaissée.
C’est peut-être néanmoins le choix le plus fascinant de toute la production. Soit, de tout miser sur le point de vue unique de Ray Kroc, un opportuniste entêté et égoïste, créant ici un protagoniste au charisme magnétique, mais peu attachant, en ne laissant pas de place aux frères McDonald’s dont on essaie quand même de s’attirer la pitié. Ainsi, on aura bien peu de leur version des faits et leurs dialogues sembleront plus forcés que les autres, leur présence servant surtout à des fins narratives pour situer l’histoire dans la chronologie des injustices.
Enfin, The Founder n’est pas si mal. Il est bien exécuté, il garde le spectateur fasciné dans son entièreté et crée des réflexions assez fascinantes sur ce qui a mené à notre époque, alors qu’on nous présente quand même subtilement la genèse de la restauration rapide, un concept qui paraît pourtant si évident de nos jours. On restera néanmoins sur notre faim, pas comme Nick Offerman ou John Caroll Lynch qui sont d’une magnifique efficacité dans ces rôles effacés, ni même B. J. Novak qui opte pour une bonne présence dans son court temps d’écran, mais plutôt comme Laura Dern qui, à l’image des attraits majeurs du long-métrage, mériterait certainement bien mieux.
6/10
The Founder prend l’affiche en salles ce vendredi 20 janvier.