Étrange époque cinématographique que ce début des années 2000, particulièrement lorsqu’il est question d’adaptation de bandes dessinées au grand écran. C’était effectivement avant Iron Man, avant que la machine Disney/Marvel ne s’enclenche, et avant que ne déferle une vague de films tous semblables, mais qui ont aussi permis à l’empire américain d’engranger les milliards.
Hellboy, donc, et sa suite furent pour ainsi dire les enfants sacrifiés de cette période particulière où l’imagination se heurta hélas au matérialisme des dirigeants des studios de cinéma. Pour porter à l’écran les aventures de cette créature démoniaque amenée sur Terre par un Raspoutine travaillant avec les nazis (parce que forcément, Raspoutine a décidé de travailler avec les nazis pour ouvrir un portail dimensionnel visant à détruire la civilisation terrestre et à faire gagner les forces du Mal), on retint les services de nul autre que du maître de l’imaginaire occidental, Guillermo Del Toro.
Connu pour son sens incroyable de la composition, son imagination débordante et son bestiaire parfois horrifiant, Del Toro disposait ici, en 2004, d’un terreau fertile où il aurait été possible de donner vie à cette franchise portant sur les forces occultes. Au centre du plateau, le fameux Hellboy, joué ici par un Ron Perlman par encore aussi tordu que lorsque vint le temps de Drive ou de Pacific Rim, mais qui semblait déjà s’amuser follement devant les caméras. Perlman en démon devenu justicier qui se contrefout de l’autorité mais qui a un sens aigu du devoir et de la loyauté envers son père (John Hurt), c’est s’appuyer sur des bases solides pour construire quelque chose de potentiellement très efficace.
Le film a beau être sorti deux ans avant le merveilleux et sadique Labyrinthe de Pan, lui aussi une création de Del Toro, Hellboy affiche des similarités frappantes. Les personnages, multidimensionnels, sont partie intégrante d’une histoire riche dont le cinéphile semble n’avoir qu’un aperçu. Signe de l’irrévérence de la série en bandes dessinées, Hellboy pourchasse ici créatures des enfers et autres concoctions maléfiques disposant d’un historique riche et détaillé. Si son collègue Abe Sapien, un étrange homme-poisson, s’empresse de fouiller dans de vieux livres pour retrouver l’origine des monstres en question et déterminer leurs points faibles, pour Hellboy, le boulot consiste principalement à tirer dans le tas ou à y aller à coup de poings.
En fait, le film tient très largement la route. On achoppera peut-être sur le fait que le scénario tourne autour d’une prophétie de fin du monde – difficile, dans ce cas, d’envisager une suite où les enjeux seraient plus importants -, mais Del Toro, à la fois scénariste et réalisateur, s’en tire avec une pirouette bien exécutée, tout en laissant la porte entrouverte pour de futurs développements dans ce dossier, mais dans l’ensemble, le tout est divertissant, le jeu des acteurs est satisfaisant, le scénario est plus qu’acceptable et les effets visuels sont très solides, et ce même lorsque vient le temps d’écouter le tout 12 ans après la sortie de l’oeuvre.
Non, ce qui pose problème – et ce sera la même chose lorsque l’on analyse la suite, The Golden Army, apparu sur les écrans en 2008 -, c’est qu’Hellboy n’arrive jamais à s’installer réellement dans un créneau cinématographique, préférant combiner divers éléments pour obtenir quelque chose qui n’est ni un film d’horreur et de fantastique, ni une comédie familiale. Le Labyrinthe de Pan avait beau reprendre le concept du conte de fées, il s’agissait en fait d’un film pour adultes, avec ses monstres réels et ses ennemis imaginaires. Avec Hellboy, malheureusement, on reste constamment en surface, constamment tiraillés entre les bien réelles questions de fin du monde, de dualité entre le Bien et le Mal et la difficulté, pour l’humanité, d’accepter un possible sauveur si différent de l’humain moyen et la nécessité, pour Hollywood, d’enchaîner les répliques humoristiques et de viser un public le plus large possible. Voilà probablement ce qui a fait en sorte qu’il s’est écoulé huit ans depuis le deuxième volet des aventures de Hellboy au cinéma: les deux films sont simplement… banals. On sent de Del Toro a vu son imagination torturée être limitée par la volonté de plaire au plus grand nombre. Alors qu’une série véritablement destinée aux adultes aurait sans doute cartonné. Ainsi se répète la malédiction des studios qui refusent de prendre trop de risques. Et huit ans après The Golden Army, il suffit de regarder les sorties de la fin 2016 pour constater que la situation n’a pas changé d’un iota.
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