Adam Thirlwell a le goût des mots. L’auteur, dans son plus récent roman Candide et lubrique, ouvre toutes grandes les portes à une logorrhée verbale, à une prose qui déferle telle une avalanche, et qui emporte tout sur son passage. Pour un résultat, disons-le, qui tient peut-être davantage de l’exercice de style que du génie.
Élevé dans le cocon familial de la banlieue, notre héros – ou plutôt notre protagoniste, l’individu en question n’ayant pas grand chose d’héroïque – commence par tromper sa femme avec la meilleure amie de celle-ci. Et il se réveille aux côtés de son amante en proie à de graves problèmes de santé, du style saignements de nez après consommation semble-t-il excessive de drogue. Panique, donc, dans cette chambre d’hôtel quelque peu miteuse.
Panique, oui, mais surtout contemplation égoïsto-centrique. Notre homme multiplie les dialogues avec lui-même, comme s’il tenait une conversation avec son for intérieur depuis sa naissance. À l’extérieur de cette bulle protectrice, dans le «vrai» monde, le protagoniste tergiverse, vit aux crochets de ses parents (chez qui il réside avec son épouse), participe à une orgie, se met en tête de braquer des commerces… bref, rien de bien constructif, mais surtout des aventures qui l’entraînent vers les bas-fonds de la turpitude morale.
En un sens, Candide et lubrique rappelle le déchirement progressif du tissu sociologique du Maître des illusions, quand notre héros se laissait corrompre par son groupe d’amis, mais surtout par son professeur particulier. Mais là où l’on pouvait en quelque sorte prendre le parti du jeune homme du roman de Dona Tartt, celui d’Adam Thirlwell n’inspire au mieux qu’un étonnement léger, voire un certain dégoût. L’homme est paresseux, malhonnête, pas spécialement intelligent… pire encore, admettons qu’on cautionne ses gestes déplacés, sa consommation de drogue, son penchant pour les violences ordinaires, il n’est pas foutu de cimenter ses intentions ou de plonger carrément dans la grande criminalité. Le lecteur aurait alors au moins quelque chose de concret à se mettre sous la dent.
Candide et lubrique est donc un exercice de style particulier. Un peu, en tirant la comparaison par les cheveux, comme si La vie, mode d’emploi de George Perec s’amusait à fumer faussement la pipe et à porter ironiquement une veste avec ronds de cuir, tout en consommant une quantité astronomique de poudre blanche hallucinogène.
À lire d’une traite, peut-être, pour profiter d’un bon buzz. Et en émerger en tremblant légèrement, tout en étant heureux de passer à autre chose.
Candide et lubrique, d’Adam Thirlwell, publié aux Éditions de l’Olivier, 396 pages.