On peut bien avoir fait tous les films du monde et avoir une carrière depuis des décennies, mais après un film comme Io Sono L’amore, tout ce qui a précédé n’a plus d’importance et une certitude ressort: plus rien ne sera pareil. Et Dieu merci, l’exaltant A Bigger Splash fait tous les remous, ou presque, qu’on pourrait autant souhaiter qu’espérer.
Néanmoins, comment faire suite à un chef-d’œuvre? En reprenant la même actrice sans qui le long-métrage n’aurait pas été possible? Oui, c’est un bon début. De toute façon, Tilda Swinton est parmi les plus éclatantes valeurs sûres, brillant indubitablement dans la majorité des productions auxquelles elle figure. Est-ce suffisant toutefois? Bien sûr que non. Ce, même si l’on a vu à plus d’une reprise des acteurs et actrices pratiquement sauver la mise de leurs productions. Et ce, également, même si l’on accorde à son personnage une intéressante tournure qui lui permet considérablement d’élargir ses capacités et, bien sûr, l’étendue illimitée de son grand talent, lire ici un quasi-mutisme forcé, idée apportée d’ailleurs par l’actrice elle-même. On est géniale ou on ne l’est pas, n’est-ce pas?
Ainsi, il est certain que de reprendre son équipe aide. Sans le visuel de Yorick Le Saux et l’énergie du monteur Walter Fasano, notamment, la vision de Luca Guadagnino ne serait pas la même. Manque alors un scénario auquel il se serait davantage impliqué, puisque c’est peut-être là, la véritable faiblesse de l’ensemble, alors que David Kajganish qui revient tout juste de son intriguant, épuré, mais constamment intriguant True Story, continue de parsemer son récit de points de suspension et de questionnements pas toujours accompagnés de leurs réponses, qui défient toujours un peu la logique. Sans nécessairement retourner dans les territoires du mal-aimé The Invasion, il se permet quand même d’adapter et de s’inspirer de l’histoire de Alain Page qui a également donné lieu à La Piscine de Jacques Deray, film français de la fin des années 1960 où l’on retrouvait au générique nul autre que Alain Delon, Romy Scheider et Jane Birkin.
On troque ainsi les noms pour des têtes d’affiche qui ne manquent pas de culot. Bien sûr, on peut remettre en question la nonchalance de Dakota Johnson et son âge véritable versus celui que son rôle voudrait bien lui attribuer, mais à ses côtés, au-delà de l’irrésistible Tilda dont on a parlé précédemment, Matthias Schoenaerts continue encore et toujours de livrer une composition d’une grande force qui puise sa nuance dans la retenue. Toutefois, au-delà de cette galerie de personnages « artistiques » colorés, c’est Ralph Fiennes en mode post-The Grand Budapest Hotel, qui remporte la mise. S’il mérite des nominations aux Oscars depuis quelques films déjà, on croise les doigts pour que son interprétation survoltée de Harry Hawkes, entre l’exaspération et la fascination, marque l’histoire tout comme l’inoubliable scène de danse à laquelle il donne toute sa puissance et sa vie. De quoi prendre le relai à Oscar Isaac dans Ex Machina l’an dernier, et vouloir réécouter à tue-tête encore et encore Emotional Rescue des Rolling Stones.
Dans des apparitions tout simplement magnétiques, il hante l’écran à chaque présence et il est impossible au spectateur de détacher le regard retrouvant une folie qui se vit dans ses répliques, dans ses gestes, dans ses airs, bref, dans la totalité de sa personne. Représentant autant l’esprit même du film et l’élément déclencheur et détracteur, étant autant le problème et la solution, mais aussi l’essence même du film sans qui ce dernier n’aurait pas lieu.
À tout cela, bien sûr, on retrouve cette sage réflexion sur la célébrité et sur l’art, tout comme de cette subtile incursion dans l’univers du Rock’n’roll. Les luttes de force et de pouvoir ne sont peut-être pas toujours développées à leur plein potentiel tout comme des aspects vicieusement suggérés ici et là, mais au moins, on peut compter sur l’extraordinaire mise en scène de Guadagnino qui s’assure toujours de prendre les devants quand le scénario s’enfonce dans ses propres pièges.
C’est donc dans ses mouvements de caméra qui virevoltent, tout comme dans son accumulation de gros plans qui s’intéressent décidément aux détails et aux éléments avoisinants, que le film trouve ses filons les plus intéressants, nous proposant un regard unique à son univers qu’on ne retrouverait ni ailleurs ni dans la réalité. En plus d’un soin tout aussi remarquable pour la musique qui jouit d’un travail sonore impeccable, noyant les dialogues dans l’ambiant pour donner un sentiment d’ensemble plutôt que de cohérence attendue.
A Bigger Splash est donc un film qui amuse autant qu’il s’amuse. Une œuvre d’art imparfaite, qui a bien quelques faux pas ici et là, mais qui n’arrête jamais de fasciner de par ses trop nombreuses qualités qui nous réapparaissent constamment au visage. On en ressort alors épaté, épuisé un peu, mais grandement conquis.
8/10
A Bigger Splash prend l’affiche ce vendredi 20 mai.