Spectre est un divertissement de qualité, ne nous méprenons pas. Il souffre seulement des comparaisons et d’un passé composé de 23 films (!) qui, comme ce plus récent opus, ne bénéficie pas de la même audace que son excellent prédécesseur Skyfall et laisse trop entrevoir les failles de son moule préutilisé, alors que ses redites pourraient être méprises par certains pour des clins d’œil.
Ce nouveau chapitre des aventures de l’agent 007 ne s’intéresse donc pas aux reflets, mais aux ombres, celles de plusieurs très bonnes idées qui n’ont pas toujours bien viré.
Le talentueux Sam Mendes ne voulait pas revenir à la barre d’un nouveau film du célèbre agent de Ian Flemming et Daniel Craig a révélé récemment qu’il en avait marre de reprendre ce rôle. C’est peut-être ce certain état de lassitude qui fait ombrage sur ce qui est certainement l’un des opus les plus sombres du héros, autant de manière concrète que figurée.
Après tout, sans le regard visionnaire de son partenaire de longue date Roger Deakins, malgré un magnifique plan-séquence en guise d’ouverture, tendance oblige, Mendes filme (très souvent) la nuit avec prudence et les scènes d’action avec anxiété. De son côté, le compositeur Thomas Newman, malgré plusieurs passages forts inspirés, surtout dans son dernier acte, recycle majoritairement ses compositions d’hier pour la même franchise.
Ce sentiment de redites se lie alors ironiquement avec les thèmes principaux exhibés par le film comme le scénario nourrit une idée de cycle, tout en s’imposant comme une conclusion de ce dernier, faisant office d’un obstacle ironique face à la nouvelle équipe qui vient de s’établir. En essayant un peu maladroitement de nous faire croire que tous les précédents volets mettant en vedette Craig étaient en fait des pions mis en place pour aboutir en ce qui a lieu sous nos yeux, on reprend finalement le canevas habituel du passé qui revient hanter, et de la fin d’un monde pendant qu’un autre se met en place.
Et si la prémisse évoque sans conteste celle de Rogue Nation, le plus récent film des Mission: Impossible – la société secrète qui vise le coup d’État -, elle est sauvée par l’élégance britannique qui prend son temps, trop peut-être, pour bien développer les enjeux et la psychologie, à défaut d’encore trop empiéter sur les histoires de cœur, à l’instar de Casino Royale. À ce titre, si la scène d’ouverture est géniale et son dernier acte, malgré son dénouement bâclé et sentimental, d’une tension aussi captivante que soutenue, le film souffre d’un centre qui se cherche beaucoup trop et d’un nombre désolant de déboires avec Léa Seydoux qui continue sévèrement d’agacer voire d’être risible, tout en ruinant à petit feu le long-métrage de par l’insignifiance de son personnage.
Il est ainsi dommage qu’en comparaison Monica Belluci, beaucoup plus intéressante dans un élan de vulnérabilité, doit se contenter d’à peine quelques minutes, pendant que le démoniaque, mais serein Christoph Waltz est sous-utilisé, à l’inverse de Javier Bardem qui bénéficiait du bon équilibre de temps à l’écran. Si Ralph Fiennes, Ben Wishaw et Naomie Harris ont la fougue qu’il faut pour courir à droite et à gauche pendant que toute l’organisation semble se désintégrer, Dave Bautista doit se contenter de reprendre pratiquement intégralement le rôle de Oddjob, interprété par Harold Sakata à l’époque de Goldfinger.
Ainsi, en voulant recentrer le film sur le personnage de Bond plutôt que sur l’espionnage, le film ne met pas toujours l’accent au bon endroit. Si l’on reprend le débat sur le passé et l’avenir entamé précédemment, on ne l’utilise que superficiellement en guise de véhicule pour mieux mettre en scène son explosive conclusion en terres connues. On utilise d’ailleurs littéralement les ruines du passé pour faire passer le message et imager le propos, la subtilité n’ayant ici pas sa place.
Cet opus nocturne est donc plutôt épuisé. Certes, la franchise gagne en maturité et évolue avec grâce selon son époque, mais malgré quelques idées qui ne manquent pas de tonus (le sofa dans l’introduction) et de vives répliques (la montre) qui savent viser juste de par leur humour, on regrette d’avoir l’impression de revoir Skyfall sans le brio de ce dernier, mélangé avec le canevas de tant d’autres Bond, la surprise évacuée. Ainsi, ouverture musclée, générique insupportable (que ce poulpe étouffe Sam Smith au plus vite!), une ville, une amante vite oubliée, un méchant qui se précise, la capture et torture dans un endroit reclus, beaucoup d’explosions et la grande finale.
On aura beau dire qu’on sait pourtant à quoi s’attendre en allant voir ce genre de films, mais face aux nombreux Kingsman, Spy et même le mésestimé The Man from U.N.C.L.E. de Guy Ritchie, tous sortis cette année, qui savaient tous insuffler leur propre souffle au film d’espionnage, on est un peu déçu que Spectre évite systématiquement les surprises en préférant se camoufler derrière les conventions.
Restera néanmoins la grande diversité des lieux ayant collaboré en la production de Bond la plus coûteuse à ce jour, ses somptueux paysages et de solides scènes d’action à se mettre sous la dent pour apprécier ce bon film d’action qui préfère recycler au lieu d’innover.
7/10
Spectre prend l’affiche ce vendredi 6 novembre. Quelques représentations spéciales ont lieu le jeudi 5 novembre en soirée.