Le mélomane s’arrêtant mardi soir à la Maison symphonique aurait pu croire que l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) avait entamé sa saison 2015-2016 avec près d’un mois de retard. Si le concert inaugural, la version concert de l’opéra Pelléas et Mélisande, avait fortement déçu, ce Violon romantique de Korngold, dirigé de main de maître par le chef Yan Pascal Tortelier, a facilement comblé le public.
Rien n’était toutefois joué pour ce spectacle, alors que le chef invité original, Emmanuel Krivine, a dû se désister à la dernière minute, cédant sa place à M. Tortelier. Le programme a lui aussi été modifié, alors qu’on faisait disparaître l’ouverture de Hansel et Gretel pour y substituer l’ouverture du Corsaire, de Berlioz. Et quel choix judicieux! Une oeuvre qui démarre sur les chapeaux de roues, une pièce colorée, dynamique, faisant immédiatement penser au charme et à l’esprit d’aventure des grands aventuriers de la mer. Alors que cuivres et cordes s’en donnent à coeur joie, on imagine sans aucune peine les immenses vaisseaux voguant sur les flots démontés, les tirs de mousquets, le fracas des lames, mais aussi les chasses au trésor, le courageux pirate au grand coeur qui, ayant séduit la belle, s’en va vers l’horizon.
Il fallait voir, également, le chef Tortelier sauter sur place, dirigeant sans baguette, mais plutôt pratiquement avec tout son corps, le sourire aux lèvres. À croire que l’on s’était accordé une petite gâterie, à l’OSM, histoire que les musiciens aient eux aussi le droit de s’amuser en travaillant.
Suite à ce Berlioz déchaîné, place à Erich Wolfgang Korngold, dont le deuxième prénom a été choisi en l’honneur de Mozart, et qui est surtout connu pour avoir composé les trames sonores de divers grands films hollywoodiens des années 1930 et 1940. Pour l’occasion, la violoniste Vilde Frang était de passage à Montréal, elle qui y a déjà posé les pieds en 2013, notamment. Que retenir de ce Concerto pour violon en ré majeur? Qu’il s’agit d’abord d’une oeuvre permettant bien sûr à Mme Frang d’effectuer la pleine démonstration de son talent. À 29 ans, la jeune femme dégage une solide assurance et engouffre une énergie impressionnante dans son interprétation de l’oeuvre de Korngold.
On peut d’ailleurs dire bien des choses à propos de ce concerto. Les amateurs de films des années 1980 – et surtout les gens connaissant le travail de compositeur de John Williams (Star Wars, Jurassic Park, etc.) seront ici en pays connu. Williams s’est bien sûr inspiré de Korngold pour reprendre des thèmes musicaux qui avaient fait leurs preuves depuis 50, voire 60 ans, mais il n’en reste pas moins que l’on se prendra à espérer que le Saint-Graal échappe aux nazis, ou qu’ET puisse rentrer chez lui sain et sauf. Ce concerto souffre aussi d’un petit côté dissonant, brouillon, ou encore bigarré. Rien de bien grave, mais on sent que l’envie d’en mettre le plus possible au sein d’une seule et même partition ait pu nuire au compositeur.
Dernière partie de cette soirée, la Symphonie en ré mineur de César Franck, seule oeuvre symphonique de ce compositeur, joue elle aussi fortement sur les cuivres, tout comme le faisait l’ouverture du Corsaire de Berlioz. Des sonorités qui se voulaient parfois rondes, chaudes, très douces, avant d’atteindre un « rythme de croisière », une vitesse suffisante pour progresser dans la partition, si l’on veut.
Assurément romantique, cette pièce de Franck forme la clé de voûte de cette soirée automnale, une oeuvre tout à fait agréable qui vient clore en beauté ce passage dans l’univers romantique de la musique classique. Soulignons d’ailleurs, ici, que le choix des pièces au programme a bien entendu (légèrement) versé dans les effluves d’eau de rose, mais sans jamais s’y plonger complètement. Une autre preuve que l’on peut combiner « action » musicale et bons sentiments.