Tom King possède un indéniable talent pour réinventer des personnages bien établis de l’univers DC tout en respectant leur ADN, et il récidive cette fois-ci avec l’un des vilains les plus iconiques de Batman dans Le Pingouin, une série se déclinant en deux tomes.
Oswald Cobblepot, mieux connu dans les milieux interlopes sous le sobriquet du Pingouin, est supposément mort, supposément tué par nul autre que Batman lui-même. Malgré son physique répugnant, le caïd a eu de nombreuses compagnes durant son existence. Lorsque Catwoman est embauchée par un notaire afin de retrouver ses héritiers avant la lecture de son testament, elle découvre que les jumeaux Aiden et Addison Cobblepot ont méthodiquement assassiné tous leurs frères et sœurs. Ayant éliminé la « compétition », ils héritent donc des biens immobiliers de leur père, dont son fameux club, la Banquise, ainsi que de son vaste empire criminel.
Pourtant, les apparences sont trompeuses, et Oswald Cobblepot est toujours vivant. Il mène une existence paisible à Metropolis sous l’identité de monsieur Cobb, un fleuriste débonnaire et bedonnant. Mettant à jour sa couverture, le FBI l’oblige à travailler pour le gouvernement, lui fournissant hommes, matériel et financement. Le Pingouin se retrouve alors sous les ordres de « l’Agent #$@%@ », une femme devant son surnom à son utilisation maladive de jurons, et se verra forcé de retourner à Gotham afin de mener une guerre aux criminels, parmi lesquels ses propres enfants. Il constatera que, malheureusement, il n’y a pas de retraite possible dans le monde de la pègre…

Même si les adeptes de Batman n’en ont souvent que pour le Joker et sa folie destructrice, le Chevalier Noir possède l’une des galeries de vilains les plus riches et intéressantes de tous les comics américains. Parmi ses innombrables adversaires, on compte le Pingouin, qui était du plus récent film de Matt Reeves et a même eu droit à sa propre série télévisée sur HBO. Apparu en 1941 dans Detective Comics numéro 58, Oswald Cobblepot a longtemps été plus caricatural que menaçant, avec ses parapluies-fusils, son porte-cigarette, son chapeau haut de forme et son monocle, mais la bande dessinée Le Pingouin lui redonne ses lettres de noblesse.
Grâce à sa vaste connaissance de l’univers DC, le scénariste Tom King a réussi à dépoussiérer et à réinventer bon nombre de personnages classiques dans les dernières années à travers des séries comme Mister Miracle, Strange Adventures ou Supergirl: Woman of Tomorrow. Il était donc le choix tout indiqué pour imaginer une nouvelle mouture du Pingouin beaucoup plus réaliste (et dangereuse). Sous sa plume, Oswald Cobblepot s’apparente davantage à un caïd comme Wilson Fisk, le Kingpin de l’univers Marvel, c’est-à-dire un vilain frayant autant avec les criminels endurcis que les politiciens corrompus et les membres de l’élite de Gotham.

Dans ce récit non-linéaire plus proche du drame policier que du récit de superhéros, Tom King revient aussi sur le passé du Pingouin. On assiste à son ascension, depuis le moment où il travaillait comme barman pour Carmine Falcone et qu’il servait d’informateur à un Batman débutant, jusqu’à ce qu’il acquière la Banquise et devienne le Parrain de Gotham. On voit se développer une alliance de circonstance entre le Chevalier Noir et Cobblepot, mais qui se sert vraiment de l’autre? Les lecteurs de longue date des comics DC apprécieront la façon dont l’auteur puise dans l’héritage de la maison d’édition pour ramener à l’avant-plan des personnages plus obscurs, dont les membres de la Force of July ou Black Spyder.
Les dessins minutieux et sombres de Rafael De Latorre dans Le Pingouin se marient parfaitement au ton de ce polar. L’artiste instaure une ambiance lourde et glauque ponctuée par des instants de violence intense, qui sont la plupart du temps entièrement colorés en rouge. Des bas-fonds de Gotham aux luxueux manoirs de la haute société, De Latorre joue beaucoup sur les zones d’ombres et de lumière, et esquisse parfois uniquement la silhouette des personnages, ce qui fait très film noir. Si sa représentation de Batman est assez classique, il livre un Pingouin épuré, tout en multipliant les clins d’œil à son costume d’antan. Chacun des deux tomes s’ouvre sur une introduction de Yann Graf, et se termine par une galerie de couvertures alternatives.
En jetant un regard neuf sur un vieil ennemi, Tom King parvient à rendre le Pingouin moins folklorique, et à en faire un adversaire digne de Batman. Que vous soyez ou non familier avec Oswald Cobblepot, cette série vous fera assurément apprécier davantage ce criminel retors et violent.
Le Pingouin, tome 1 : Bec et ongles, de Tom King et Rafael De Latorre. Publié aux éditions Urban Comics, 160 pages
Le Pingouin, tome 2 : Un homme sans importance, de Tom King et Rafael De Latorre. Publié aux éditions Urban Comics, 176 pages