Fort de la reconnaissance acquise via une nomination aux Oscars pour son court-métrage Henry, Yan England est désormais presque autant connu comme cinéaste qu’en tant que comédien. Pour Fanny, son troisième long-métrage, s’il continue de développer plusieurs passions évidentes, il s’attaque pour la première fois à un scénario auquel il n’a pas du tout collaboré.
Est-ce parce que M. England s’est lui-même fait connaître durant sa jeunesse que celle-ci l’intéresse autant? Peut-être.
Sauf que s’il a perdu Antoine Olivier Pilon au passage, sa tête d’affiche précédente, le réalisateur se permet malgré tout de renouer avec Milya Corbeil Gauvreau. Une occasion idéale pour retrouver une approche plus intimiste que dans 1:54, comme avec son Sam, qui nous plongeait dans le désarroi de son personnage titre.
Toujours assez frontal, à l’image de ces titres qui arborent le nom de ses protagonistes, M. England s’est donné le grand défi de mettre en images l’univers déjà très créatif, riche et bricolé qu’a conçu la chanteuse devenue autrice Stéphanie Lapointe, également scénariste.
En adaptant les romans de la série Fanny Cloutier, England se retrouve ainsi avec un univers beaucoup plus féminin qu’à ses habitudes. Ce saut dans le vide pourrait expliquer cette aisance qui manque à plusieurs moments, ou alors, est-ce dû à ce premier scénario de film, format que Lapointe touche pour la première fois?
De fait, fidèle à ses habitudes, England conçoit son film comme une nouvelle qui mise plus que jamais sur sa chute finale et les grandes révélations qui en découlent. Les revirements et de secrets s’accumulent comme autant de cliffhangers qu’il y aurait d’épisodes dans une saison télévisuelle.
Dommage, toutefois, que lorsque l’on nous explique, en long et en large, tout ce que le film nous cachait, la vérité s’avère si abracadabrante et suscitant encore plus de questions, même après deux heures de mystère.
En termes de jeu des acteurs, le film est toujours à mi-chemin, ces derniers donnant souvent l’impression de devoir se débrouiller par eux-mêmes à incarner des personnages qui manquent de définition et dont on ne saura que peu de choses, si ce n’est une ou deux précisions peu importantes.
Ainsi, si Magalie Lépine-Blondeau est d’une douceur et d’une tendresse souvent surprenante, on comprend mal pourquoi on insiste autant pour la qualifier d’excentrique. Claude Legault incarne cette force tranquille et cette maturité acquises dans la dernière décennie, alors que plusieurs acteurs intéressants, comme Hubert Proulx ou Marilyse Bourke, ont bien peu à se mettre sous la dent.
Plus souvent éloignés qu’autre chose, les personnages principaux de Fanny et de son père Hubert (pas les mêmes que la série télé wannabe romantique de Radio-Canada d’il y a quelques années, au cas où vous les confondriez) ont une relation souvent difficile à saisir, que ce soit volontaire ou non. On comprend qu’on veut illustrer ce gouffre de communication qui se crée rapidement entre eux, mais il y aurait eu plus frappant comme manière de l’exprimer.
Si cela sied la partie trouble de son personnage, Milya Corbeil Gauvreau, qui se dévoue avec passion, se montre néanmoins souvent en manque de moyens pour justifier la totalité des nombreuses émotions qu’elle doit ressentir. Épaulé de son expérience et son talent, Éric Bruneau n’arrive pas toujours à nous faire comprendre les choix et les motivations régulièrement inexplicables de son personnage.
C’est pire du côté d’Adélaïde Schoofs, qui doit se contenter de dialogues souvent risibles et clichés visant à exhiber les différences évidentes entre Montréal et les régions.
En contrepartie, Léokim Beaumier-Lépine, qui s’était également rendu aux Oscars avec le court-métrage Invincible où il tenait la vedette, continue de confirmer l’impressionnant talent qu’il démontre depuis plusieurs années déjà. Sauf que son personnage n’est malheureusement pas mieux défini pour autant.
On se retrouve alors avec un film senti, ressenti et rehaussé par sa bande sonore et les compositions de Raphaël Reed, sauf que les incongruités y sont trop nombreuses et font régulièrement décrocher. Il en va de même pour une technique étrangement approximative, notamment avec un montage frénétique qui multiplie les problèmes de raccord jusqu’à montrer un personnage qui change de paires de chaussures d’un plan à l’autre.
Pas de changement de cap, donc, pour ce Fanny où England mêle toutes ses passions, des dérives de l’adolescence à une obsession pour les secrets et le milieu sportif. En fonction de votre appréciation de ses oeuvres en général, cela vous guidera dans votre accueil cette nouvelle proposition. Pour les autres, on attendra encore de voir si la crédibilité est toujours possible, pour ce créateur.
3/10
Fanny prend l’affiche en salle ce vendredi 9 mai.