Des dizaines de recherches sur la désinformation ont été annulées avec les dernières coupes décidées aux États-Unis. Et la liste révèle qu’elles sont plus diversifiées que ce que le mot « désinformation » laisse soupçonner.
Par exemple, Briony Swire-Thompson est professeure de psychologie à l’Université Northeastern, située à Boston. Elle étudie les fausses informations sur le cancer — par exemple, les faux remèdes — et les raisons pour lesquelles des gens sont plus à risque de tomber dans les pièges qui leur sont tendus. Le 2 avril, elle recevait un courriel des National Institues of Health —le principal organisme subventionnaire de la recherche en santé aux États-Unis, et l’un des plus gros au monde— lui annonçant que son travail ne correspondait plus aux « priorités gouvernementales » parce qu’il s’agissait de « recherches pour influencer l’opinion publique ».
Cette justification est « ridicule », résume Swire-Thompson dans un reportage publié le 30 avril par la revue Science. « Ça voudrait dire que tout message de santé publique est rejeté », depuis les recommandations d’arrêter de fumer jusqu’à celles d’appliquer de la crème solaire. Dans les faits, les nominations par le nouveau gouvernement à la tête des agences gouvernementales avaient déjà annoncé la couleur à la fin-mars, lorsqu’on avait appris que la simple présence du mot « désinformation » dans une demande de subvention pouvait suffire à voir celle-ci être refusée — et ceci s’ajoutait à une liste de plus de 200 mots, allant des personnes trans jusqu’aux changements climatiques en passant par les vaccins à ARN.
Pas de nuances
Mais la liste surprend néanmoins par son arbitraire. Un chercheur en désinformation à l’Université Cornell, Alexios Mantzarlis, avait recensé à la fin-avril 136 recherches « qui pourraient avoir été affectées », parce qu’elles ont reçu récemment la confirmation d’une subvention de la National Science Foundation. Il en a identifié 28 dont la subvention a été complètement annulée, et il présume qu’il y a des dizaines d’autres chercheurs qui ne lui ont pas répondu. Or, la liste inclut aussi bien un projet de recherche sur la façon dont naissent des fausses croyances, que sur l’efficacité de détecteurs de fausses photos, ou sur la faisabilité d’introduire des « marques » en filigrane d’images créées par l’IA.
Des élus républicains et des commentateurs conservateurs ont souvent prétendu ces dernières années que la lutte à la désinformation était synonyme de censure, possiblement ébranlés par le fait que, statistiques à l’appui, dans tous les pays étudiés, les mensonges avérés sont plus souvent venus de la droite radicale. Mais ça n’a rien à voir avec des atteintes à la liberté d’expression, commente dans Science la chercheuse de l’Université Vanderbilt qui avait ce projet sur la façon dont naissent les fausses croyances. « Le fait de vous apprendre que la science dit que vous avez tort, ce n’est pas censurer votre croyance. C’est davantage de liberté d’expression pour les vérificateurs de faits, les journalistes, pour quiconque écrit un déboulonnage dans le but de dire j’ai regardé les preuves, et voici qu’elles disent. »
En fait, c’est plutôt annuler l’ensemble des recherches sur un tel sujet qui représente une atteinte à la liberté d’expression, commente le psychologue australien Stephan Lewandowsky, de l’Université britannique de Bristol. « C’est un acte déclaré de censure pour échapper à toute responsabilité. Qui d’autre qu’un menteur annulerait des recherches sur la désinformation? »