Les canons ont beau s’être largement tus, au Proche-Orient, la situation sur le terrain demeure « extrêmement complexe et difficile », affirme l’un des responsables d’une organisation caritative.
En entrevue depuis ses bureaux de Jérusalem, Joseph Hazboun, directeur régional du bureau local de la CNEWA, l’Association catholique d’aide à l’Orient, indique que « la seule chose qui semble certaine, c’est qu’il n’y a plus de gens qui sont blessés ou tués, chaque jour; il n’y a plus de structures qui sont détruites, parmi celles qui sont encore debout ».
« C’est la seule chose positive », déplore-t-il.
« Du reste, dit-il, l’avenir est particulièrement imprécis. Nous avons récemment eu une rencontre des organisations catholiques; nous sommes largement des organisations d’aide. Et la chose dont nous étions certains, c’est que nous ne savons pas comment aller de l’avant. »
Car si Israël et le Hamas ont conclu un accord de cessez-le-feu, qui dépend notamment de la libération des otages encore entre les mains du Hamas, et de prisonniers se trouvant dans les geôles israéliennes, cela ne change rien au fait que la bande de Gaza a été soumise à des bombardements et des combats particulièrement violents depuis octobre 2023.
« Le point de passage de Rafah est toujours fermé; [le premier ministre israélien Benyamin] Nétanyahou a été forcé de signer l’accord, ce qu’il n’a pas apprécié… Je l’ai toujours dit: la guerre dépend de la façon dont elle se termine, et si Nétanyahou est satisfait. Et ce n’est pas le cas », lance M. Hazboun.
« Cela veut dire qu’il ne sera pas possible de faire entrer des matériaux de construction dans la bande de Gaza; l’aide humanitaire sera contrôlée… Bien des gens affirment que les convois d’aide qui peuvent enfin entrer à Gaza n’apportent pas deux articles essentiels: de la farine pour cuire du pain et des tentes pour que les gens ayant perdu leur maison puissent au moins passer la fin de l’hiver au chaud. »
Cette interdiction de l’entrée de matériaux de construction dans la bande de Gaza ne date pas d’hier, rappelle le responsable de la CNEWA, mais remonte plutôt à 2014. Sous prétexte, a dit Israël, d’empêcher le Hamas de construire des tunnels. Tunnels qui ont malgré tout été construits, souligne M. Hazboun.
Mais maintenant que la majorité des bâtiments et des infrastructures de la bande de Gaza sont en ruines, permettra-t-on enfin d’y faire entrer du béton pour reconstruire?
Aucun service public
Certaines organisations humanitaires ont par ailleurs cherché à faciliter le retour de familles dans leur domicile, si celui-ci était jugé habitable, afin d’alléger le fardeau des associations d’aide. « Quelques familles ont tenté le coup, puis sont revenues le lendemain: elles ne pouvaient pas vivre dans des maisons qui n’étaient plus liées à quelque infrastructure publique que ce soit.
Le réseau d’égoût est détruit. Le système d’aqueduc est détruit. Il n’y a pas de courant. Pas d’internet… Il n’y a rien. Comment peut-on vivre dans des maisons où il n’y a rien?
-Joseph Hazboun, directeur régional du bureau de la CNEWA à Jérusalem
Pour Joseph Hazboun, il est clair qu’Israël est à blâmer: « Ils ont tout détruit… Les routes, les égoûts, l’aqueduc, l’électricité. Ils voulaient rendre la vie impossible, pour que les gens partent. Mais leur plan a échoué, parce que les Gazaouis n’ont pas voulu partir, mais plutôt continuer de faire de cet endroit leur maison. »
« La destruction, qui devait d’un côté faire pression sur le Hamas, et de l’autre pousser les gens à partir, n’a pas fonctionné. Le Hamas avait dit, au début des combats, que la seule façon, pour lsraël, de récupérer les captifs, était de négocier; c’est ce que nous voyons maintenant. »
Mais le prix est extrêmement lourd. Selon M. Hazboun, au moins 55 000 personnes ont été tuées depuis octobre 2023 – les bilans varient largement, certains évoquant plus de 70 000 morts, dont une majorité de femmes et d’enfants. « Des innocents! Des mères et des enfants », dénonce Joseph Hazboun.
Et cela, c’est sans compter les dizaines de milliers, voire les plus de 100 000 blessés.
Toujours selon le responsable de la CNEWA, 15 000 Palestiniens ont perdu la vie depuis que le président Joe Biden a proposé un cessez-le-feu, au printemps dernier, qui a été rejeté par M. Nétanyahou. « Qu’est-ce qui a été accompli, depuis? Rien! », lance-t-il.
Ce dernier ajoute que selon les estimations de grandes organisations humanitaires, il faudra faire intervenir de grandes compagnies de construction pour déblayer la bande de Gaza et préparer la reconstruction. La durée de cette opération? De deux à cinq ans, soutient M. Hazboun.
« Pendant ce temps, où iront les gens? Comment vivront-ils? Dans des tentes? Nous ne savons pas. Ils vivront probablement comme des réfugiés. »
Joseph Hazboun se dit malgré tout soulagé que l’aide humanitaire puisse de nouveau entrer à Gaza, après un blocus quasi complet durant le conflit. Mais tout est à refaire, tout est à reconstruire. « Les prix ont baissé, c’est une bonne nouvelle… Dans ce contexte, nous ferons ce que nous pourrons. Le plus urgent, ce sont évidemment les soins de santé. »
Et si la CNEWA continue évidemment d’accepter les dons pour venir en aide aux habitants de Gaza et de la Cisjordanie, le problème principal en est plutôt un d’accès et de mise en place de réseaux d’aide à l’intérieur de l’enclave palestinienne, tout comme la distribution de l’aide et des produits de première nécessité.
Il y a énormément de choses à faire, dit encore M. Hazboun, mais une capacité d’intervention limitée pour des raisons de logisitiques, mais aussi parce que les routes ont notamment été largement détruites.
« Nous n’avions pas un manque de fonds, durant la guerre. Mais nous limitions l’ampleur de nos demandes auprès de la mission pontificale, parce que nous ne voulions pas nous retrouver avec de grandes sommes d’argent impossibles à dépenser. Nous n’avons cependant pas de réserves », poursuit-il.
Pour la suite des choses, les équipes de la CNEWA « vont évaluer les besoins sur le terrain, déterminer ce dont les gens ont besoin ».
Une chose est certaine: ce n’est pas parce que les canons se sont tus que la situation est revenue à la normale. Près de deux millions de personnes, toujours prisonnières de la bande de Gaza, ont presque tout perdu. Et la reconstruction, si elle a lieu, prendra des années. Le tout alors que les tensions sont toujours vives avec Israël, où « Benyamin Nétanyahou fera tout ce qu’il peut pour se maintenir au pouvoir; dans le cas contraire, il risque la prison », dénonce M. Hazboun. Le cauchemar pourrait donc se poursuivre.