Avoir deux vies, deux identités, deux identifications auxquelles on tient… ou plus, c’est au moins deux fois plus riche et intéressant que n’en avoir qu’une. Avec nos deux parents, nous sommes tous un peu dans cette situation. Mais Marie-Josée Bastien, dont le beau texte est mis en scène par Véronika Makdissi-Warren dans Yahndawa’, ce que nous sommes, apprécie et expose la richesse que lui procure sa descendance mêlée.
La vie est rarement un long fleuve tranquille et Yahndawa’, la rivière majestueuse, est sinueuse, capricieuse, débordante de vie, jusqu’à faire craindre parfois certaines catastrophes.
La pièce se situe entre deux tempêtes, deux phénomènes atmosphériques qui remuent la rivière et lui font recracher jusqu’aux tombes du cimetière local. En introduction de la belle et grande saga familiale de l’autrice, c’est ce qui permet une rencontre improbable, à la fois tendre et houleuse, entre Ludger Sarenhes Bastien – grand chef Huron-Wendat et homme d’affaire du 19e siècle – et son arrière-arrière-arrière petit-fils, avec ses opinions toutes contemporaines.
C’est que Marie-Josée Bastien a choisi de raconter son histoire sur plus d’un siècle, une histoire qui mêle réalité et fiction, faits vécus et imaginés, souvenirs et légendes, à partir d’archives personnelles, historiques et sociales.
Le résultat est une fresque familiale menée tambour battant par six artistes talentueux, qui interprètent tous les rôles et déploient devant nos yeux 100 ans d’histoire complexe, attachante, tragique parfois mais aussi heureuse, drôle et bienveillante.
Le texte est riche, très riche. Trop peut-être pour permettre d’absorber et de retenir tous les détails de cette longue et passionnante histoire qui rejoint la complexité de la plupart de nos histoires personnelles.
La scénographie, les décors de tentures qui permettent les projections de documents d’archives en filigrane, les costumes et les chassés-croisés des personnages, avec de beaux chants, des moments tendres ou tragiques, tout est réuni pour permettre au spectateur de réfléchir à ce passé qui le concerne. Comment transmettre ses origines à sa descendance pour embellir son avenir?
Car ainsi s’est formé et se forme le Québec. Malgré les difficultés, le regard est positif, tourné vers un avenir commun et réconcilié, sans jugement ni revendication inutile. La pièce est très plaisante. C’est un beau spectacle, très bien structuré et intelligemment construit. Les deux heures passent à toute allure et le texte, les péripéties et les observations bien rendues permettent de passer un moment à la fois agréable et sujet à de nombreuses réflexions.
Yahndawa’ : ce que nous sommes
Texte : Marie-Josée Bastien
Mise en scène : Véronika Makdissi-Warren
Interprètes : Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Andrée Levesque Sioui, Marco Poulin, Andawa Laveau, Océane Bohémier-Tootoo
Costumes : Églantine Maillyn
Lumières : Nyco Desmeules
Musique : Joseph Sarenhes
Vidéos : Marylin Laflamme
Accessoires : Evelyne Tanguay
Consultante en langue wendat : Andrée Levesque Sioui
Coproduction : Les Productions Menuentakuan, Théâtre du Trident, Théâtre Niveau Parking
Yahndawa’ : ce que nous sommes, du 4 au 8 décembre 2024 au théâtre aux Écuries, à Montréal
Un commentaire
La salle L’Arène, du Théâtre Aux Écuries, était bien remplie lors de cette soirée de première, malgré un temps d’hiver plutôt maussade à l’extérieur. Durant ces 2 heures, on est passé du français, à l’anglais et au wendat. Les générations se succédaient, tout en se croisant, pendant une durée de 100 ans. L’étude de leurs points de vue, qui s’affrontaient avant de se rejoindre, était intéressante.
La rivière Yahndawa subit une attaque environnementale : niveau d’eau variable, algues bleues et carpes asiatiques. L’environnement prend de l’importance rendant cette histoire familiale plus moderne. Je connaissais Marco Collin l’ayant déjà vu autant sur scène qu’à la télé. J’ai toutefois découvert Océane Kitura Bohémier-Tootoo qui m’a charmé avec ses personnages. Cette comédienne était la plus jeune du groupe.
Il fallait la voir faire une présentation avec son cellulaire, à grand renfort de kuei! kwe! (titre d’une émission à la radio de Radio-Canada) et danser. Elle nous montrait de magnifiques tuniques folkloriques. J’aurais bien aimé que ces tuniques soient aussi portées. Des projections d’images sur des tentures s’ajoutaient à cette histoire présentée par ces 6 artistes. J’ai passé un bon moment. Deux heures sans entracte, c’est un peu long : la file s’allongeait aux toilettes après la fin.