La Machine de Turing, présentée au théâtre du Rideau Vert, trace le portrait d’Alan Turing et des machines révolutionnaires qu’il était capable de concevoir dans son esprit; un homme ouvert, génial, sensible, au sens de l’humour aiguisé, un vrai bienfaiteur de l’humanité, mais qui fut très seul sa vie durant et qui succomba au joug implacable d’une machine imbécile et à l’opposé des siennes, à la fois obtuse et criminelle.
Même les génies commettent des actes manqués. Alan Turing était non seulement un immense génie, mais en plus l’homme grâce à qui des millions de morts inutiles ont été évitées. C’est lui qui par son travail, sa réflexion et son ingéniosité hors du commun, réussit à déchiffrer Enigma, la machine infernale mise au point par les nazis pour coder leurs messages dans la lutte maritime qui précéda le débarquement. Sans lui, la guerre se serait poursuivie pendant des années et nul ne sait quelle en aurait été l’issue pour le monde libre.
Benoît McGinnis, dans le rôle d’Alan Turing, est totalement crédible. Bégayant légèrement (ses idées vont bien plus vite que sa parole), jouant de tout – des mots comme des idées et des situations –, avec en plus de réflexions non seulement drôles, mais géniales, et dont chacune mériterait qu’on s’y arrête pour y réfléchir posément.
Il est un peu maladroit, excentrique, généreux et soumis à un double secret. La première partie de celui-ci, c’est son implication majeure dans la résolution du secret d’Enigma pour ne rien moins que remporter la guerre contre les nazis. La deuxième n’est pas vraiment un secret. Il est homosexuel et la chose est connue. Cependant, la loi anglaise, depuis 1885, classe l’homosexualité comme un délit et il vaut mieux, pour les homosexuels, de rester discret sur ce point s’ils ne veulent pas avoir de gros ennuis.
La pièce est très bien construite et tous ses acteurs sont excellents. Dans un décor au fond d’écran vidéo, qui mène de l’appartement d’Alan Turing au laboratoire secret où il travailla plus de deux ans pendant la guerre, en passant par le commissariat où il vint déposer plainte pour cambriolage ou encore des scènes extérieures, les situations se succèdent dans différentes séquences temporelles clé du célèbre chercheur, mais sans jamais perdre le spectateur.
L’oeuvre se déroule par ailleurs sur fond d’un dialogue très intéressant entre Alan Turing et le commissaire de police, dont les idées évoluent à son contact précieux.
Dix ans après avoir sauvé le monde, professeur de mathématique reconnu, Alan Turing reste hanté par la mort de son ami d’enfance, et décide peut-être de le rejoindre en commettant l’acte manqué de sa vie : ce stupide dépôt de plainte pour un cambriolage mineur dont en plus il connait plus ou moins l’auteur.
Mais c’est que le silence auquel il est astreint depuis 10 ans et plus lui est insupportable. Et son besoin irrépressible de s’exprimer s’accomplira, croit-il peut-être, en croquant le fruit de la connaissance du bien et du mal et en disparaissant comme dans le conte de Blanche Neige, dont il a tant aimé l’adaptation par Walt Disney.
La Machine de Turing
Une pièce de Benoit Solès
Inspirée par la pièce : Breaking The Code, de Hugh Whitemore
Basée sur Alan Turing : The Enigma, d’Andrew Hodges
Adaptation : Maryse Warda
Mise en scène : Sébastien David
Avec : Benoît McGinnis, Gabriel Cloutier Tremblay, Jean-Moïse Martin et Étienne Pilon
La Machine de Turing, du 24 janvier au 24 février 2024, au Théâtre du Rideau Vert, à Montréal