Une victime, deux employés de l’administration judiciaire chargés de lui présenter les sentences de peine capitale à sa disposition pour son agresseur coupable… car c’est ainsi qu’en ces temps futurs fonctionne la justice. La pièce Corde raide, présentée à l’Espace Go, est une dystopie où – peut-être sans procès – la société répond directement aux agressions en faisant appel au jugement des seules victimes.
En dépit du sujet grave, la pièce est plutôt agréable et pleine d’humour grâce au talent des acteurs et à une mise en scène bien chorégraphiée où la lumière et le son participent du spectacle.
La victime est une femme noire. C’est la deuxième fois qu’elle se rend dans ce lieu administratif froid, impersonnel, où les mêmes deux employés blancs l’ont déjà accueillie. Elle n’était pas seule cette première fois; il y avait peut-être son mari, ou sa sœur, ou les deux. On ne sait pas trop. Ce qu’on constate en revanche c’est que la victime est dans un état traumatique grave, que toute sa famille ressent les conséquences de l’acte d’agression qu’elle a subi puisqu’une certaine paranoïa s’est instaurée dans le foyer qu’on ferme sans cesse à double tour et que, pour les deux jeunes enfants, ce sont d’inquiétants tremblements et pipis au lit qui sont apparus.
Au-delà des non-dits de la pièce – peut-être aussi des sous-entendus, mais ceux-ci courent toujours le risque d’être mal entendus – ce sont les rapports de cette femme avec les deux employés, une femme et un homme, qui fait tout le ressort de la pièce. Et en cela, c’est très drôle. Les employés ne sont évidemment pas à la hauteur de la situation. Ils sont patauds, essayent de se rendre agréable et aggravent par le fait même leur cas, font des commentaires déplacés, ne savent plus quoi dire et comment le dire pour ne pas rendre la situation encore pire qu’elle n’est…
Malgré la formation qu’ils ont reçue, les examens qu’ils ont réussis et les jeux de rôle qui ont complété leurs connaissances et leur pratique, ils demeurent des fonctionnaires maladroits, incapables aux yeux de la victime d’avoir l’empathie adéquate à laquelle elle estime avoir légitimement droit. Du coup, elle ne leur facilite pas la tâche non plus. Il semble par moment qu’elle s’en prenne même à eux, en leur faisant bien sentir qu’ils ne sont, pour le moins, pas du tout à la hauteur de la situation.
De manière générale, on le sait bien (mis à part peut-être le cadre psy où s’établissent transfert et contre-transfert), il n’est jamais possible de ressentir tout à fait la douleur de l’autre, et c’est ainsi.
À moins que dans la situation de la pièce écrite par debbie tucker green (elle tient à ce qu’on use de minuscules pour son nom), soit sous-entendu justement que cette femme noire agressée par un homme aux yeux bleus (donc blanc) et accueillie par ces deux fonctionnaires blancs plutôt médiocres dans leur fonction, soit par essence une victime et qu’elle soit là non seulement pour punir de mort son agresseur, mais pour faire passer un mauvais moment à toute personne blanche qui se présenterait à elle et qui serait par essence du côté des coupables.
Mais ce sont encore des sous-entendus qui équivaudraient à un racisme antiblanc, pas vraiment meilleur que le racisme antinoir ou autre. Toujours est-il que la pièce est très drôle et donne à réfléchir aussi sur toutes ces situations où la maladresse, voire l’incompétence de certains fonctionnaires chargés de s’occuper de personnes en grandes détresses produisent des situations douloureuses pour ceux qui les subissent.
Corde raide
Texte: debbie tucker green
Traduction: Fanny Britt
Mise en scène: Alexia Bὒrger
Chorégraphie: Majiza Philip
Lumières: Martin Labrecque
Musique: Backxwash
Avec: Patrice Dubois, Eve Landry et Stephie Mazunya
Corde raide, du 19 septembre au 15 octobre 2023 à l’Espace Go, à Montréal