Si vous êtes un scientifique dont la langue maternelle n’est pas l’anglais, vous avez deux fois et demi plus de chances de voir votre recherche être rejetée par une publication pour des causes reliées à l’écriture, et vous passez en moyenne plus de temps à lire des recherches en anglais ou à préparer un article ou une présentation.
Ce sont quelques-uns des chiffres qui ressortent d’une enquête dont les résultats ont été publiés le 18 juillet dans la revue PLoS Biology. Les auteurs évaluent que, pour un étudiant au doctorat travaillant sur sa thèse, cela peut se traduire par 19 jours par année de « temps supplémentaire », uniquement en lectures.
Ces résultats n’étonneront sans doute pas les premiers concernés, notent ces mêmes auteurs, mais ils pourraient étonner ceux dont la langue maternelle est l’anglais, et qui sous-estiment l’impact de la langue sur les inégalités entre chercheurs.
L’enquête a été menée auprès de 908 experts des sciences de l’environnement dans huit pays. Tous devaient avoir publié au moins un article révisé par les pairs en anglais. Les pays retenus incluaient un groupe où l’aisance avec l’anglais est rare (Bangladesh, Japon, Népal), un autre où une « proportion modérée » de la population est à l’aise avec l’anglais (Bolivie, Espagne, Ukraine) et un groupe où l’anglais est la langue officielle (Nigéria, Royaume-Uni). C’est « un premier pas pour que la communauté scientifique s’occupe de ce problème », justifie dans une entrevue avec la revue britannique Nature le biologiste japonais Tatsuya Amano, co-auteur de l’étude, et qui travaille à l’Université de Queensland, en Australie. Il y étudie depuis quelques années l’impact de cette barrière des langues.
C’est une chose que de devoir passer plus de temps à comprendre un texte ou à en écrire un en anglais. C’en est une autre que d’apprendre que le risque de voir un article être rejeté par une revue scientifique est deux fois et demi plus élevé si on n’est pas anglophone: comme si la moins bonne maîtrise d’une langue était jugée par les évaluateurs comme ayant un impact sur la crédibilité des résultats.
Et le défi pour les « non-anglophones » ne s’arrête pas là, poursuit une écologiste équatorienne dans Nature. « C’est à chaque étape du processus » d’avancement dans la carrière, dit-elle: faire une demande de subvention pour un projet de recherche ou passer adéquatement son message dans un congrès scientifique. En fait, une telle étude statistique sous-estime inévitablement le problème de la barrière des langues, puisque ces chiffres ne peuvent tenir compte des gens qui ont abandonné la carrière à cause de ces obstacles.
Autrement dit, un chercheur qui est « né » anglophone part avec des longueurs d’avance sur un « non-anglophone », et rencontrera moins d’obstacles sur sa route.