L’hypothèse d’un « réseau souterrain de champignons » par lequel les arbres « communiquent » est séduisante. Du point de vue de la biologie végétale, elle n’est pas invraisemblable. Mais après 25 ans, les données s’avèrent beaucoup plus minces que ce que suggère la popularité de l’hypothèse.
Une équipe dirigée par l’écologiste Justine Karst, de l’Université de l’Alberta, a passé en revue 1676 études parues depuis 25 ans sur la structure et les fonctions de ces « réseaux mycorrhiziens ». Il en ressort que trois des prémisses sur ces « échanges » d’informations ou de nutriments, ou ces « partenariats » entre arbres et champignons, reposent sur un très petit nombre d’études, toujours les mêmes. qui sont systématiquement citées.
Ainsi, une façon de démontrer l’existence de ces réseaux serait par des analyses comparatives des gènes des champignons et des plantes vivant autour des racines de plusieurs arbres d’espèces différentes et de lieux différents. Mais selon cette revue de la littérature scientifique, cela n’a été fait que pour 2 des 73 300 espèces d’arbres du monde. L’étude est parue le 13 février dans Nature.
Une autre prémisse est celle des « signaux d’alarme » que s’enverraient des arbres voisins par l’intermédiaire de ce réseau: là encore, une seule étude révisée par les pairs va dans cette direction, et encore a-t-elle été réalisée dans une serre.
« Il y a certaines preuves, et nous pensons qu’il est possible que ces arbres soient connectés », nuance l’auteure principale dans le New Scientist. « Mais nous n’avons pas une bonne prise sur ça », et même s’il s’avérait que ces réseaux existent, on ignorerait combien de temps ils peuvent durer.
En anglais, l’hypothèse a bénéficié d’un nom plus accrocheur: le « wood wide web ». Ce sont des chercheurs sous la direction de la biologiste forestière Suzanne Simard, aujourd’hui à l’Université de Colombie-Britannique, et leurs collègues de l’Université de l’Oregon, qui sont souvent cités pour leur article pionnier, paru dans Nature le 7 août 1997 —et qui s’était mérité la page couverture cette semaine-là.
L’hypothèse est séduisante —« des arbres qui parlent entre eux », selon l’expression consacrée— et Suzanne Simard a continué de la défendre depuis, développant entre autres le concept d’un « arbre-mère » —l’arbre central, qui servirait en quelque sorte de plaque tournante pour ce « réseau ». Ce dernier concept aurait, selon certains, inspiré James Cameron pour son film Avatar.
Mais aussi séduisante que soit l’hypothèse, il est possible qu’on soit devant ce que la communauté scientifique appelle un « biais de citations » : on désigne par cette expression la tendance — en particulier en santé — à citer plus souvent les études qui rapportent un effet significatif, ou bien la tendance à citer de préférence les études antérieures qui sont en accord avec notre conclusion. Autrement dit, dans ce cas-ci, les chercheurs qui voulaient défendre l’hypothèse se seraient retrouvés en train de citer un peu trop souvent le même petit groupe d’études.
Cela ne signifie pas que l’hypothèse soit fausse. Ça signifie toutefois qu’on a sauté un peu trop vite aux conclusions et qu’il reste du travail à faire pour prouver que ce réseau existe, et qu’il est capable de communiquer de l’information ou de partager des nutriments.