Ayant rarement accès aux emplois formels en Afrique de l’Ouest, les femmes se tournent de plus en plus vers l’entrepreneuriat pour sortir leur foyer de la pauvreté dans un contexte en crise. Au Bénin, les femmes utilisent même l’entrepreneuriat comme d’un levier pour acquérir leur autonomie économique et s’émanciper.
On trouve de tout dans la petite boutique de la coopérative Nounagnon Espoir. Des bouteilles de vin de palme côtoient des produits cosmétiques faits à la main, des arachides, de la poudre de moringa, du savon noir, de la farine de tapioca ou encore, ou des mélanges de racines aux propriétés médicinales.
Rayonnant au centre de la boutique, la présidente Sylvie Bertille Akpakoun présente une diversité de produits fabriqués par les femmes de la coopérative. Depuis toujours, la Béninoise travaille dur. Lorsqu’elle habitait au nord du pays, elle a appris à labourer avec des boeufs et cultiver la terre — tâche très physique traditionnellement réservée aux hommes. Depuis qu’elle habite à Porto-Novo, la capitale du Bénin, elle dirige avec enthousiasme et savoir-faire les activités de la coopérative féminine, laquelle permet à ses membres d’unir leurs forces.
« La vie en Afrique, c’est trop cher et trop dur, donc on se bat, explique-t-elle en gardant son grand sourire. Si la femme ne peut pas relayer l’homme [pour gagner des revenus], le foyer est foutu. Les femmes doivent se prendre à deux mains pour aller de l’avant. »
Mais les défis sont grands. Au Bénin, les femmes sont souvent moins scolarisées que les hommes. Souvent mères de plusieurs enfants, elles sont généralement chargées de l’éducation des enfants et des tâches domestiques. Leur accès aux rares emplois formels du pays étant limité, l’entrepreneuriat se présente comme l’une des uniques options pour elles d’aller chercher des revenus et être autonomes financièrement.
Cela se révèle d’autant plus vrai dans un contexte d’une région touchée par de multiples crises. Le Bénin est l’un des nombreux pays qui ont été touchés par la récession économique associée à la pandémie de COVID-19, puis par la flambée du prix des céréales en raison de la guerre en Ukraine. Comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, le pays subit également de plein fouet les impacts croissants des changements climatiques.
« Puisque nous sommes dans une société patriarcale, lorsque la femme n’apporte pas l’argent dans le foyer, tout ce qu’elle fait n’est pas valorisé, observe Éric Prosper Dossa, directeur du Réseau d’appui aux initiatives locales (RAIL-Bénin), basé à Porto-Novo. Mais avec l’avènement de la COVID, la guerre en Ukraine et l’augmentation du coût de la vie, les activités des hommes ont pris un coup. Ces événements apportent des opportunités qui ont permis aux femmes de sortir de leur foyer pour avoir des activités génératrices de revenus. »
La coopération internationale comme levier
Dans la ville de Comè, les membres de l’Association des personnes rénovatrices des technologies traditionnelles (APRETECTRA) travaillent fort pour réduire les nombreux obstacles structurels auxquels les Béninoises font face lorsqu’elles souhaitent entreprendre.
Les Béninoises peuvent faire face à un manque d’accès à un capital de base pour acheter du matériel de base pour lancer leur production. Par exemple, celles qui souhaitent fabriquer du jus de fruits doivent avoir des marmites et des instruments pour cuire, stériliser, encapsuler et étiqueter les bouteilles à vendre. Elles doivent aussi se tailler une place et éviter une surcharge de travail dans une société où les tâches domestiques leur sont toujours déléguées, même si elles travaillent dans le milieu formel ou informel.
« La vie d’une femme entrepreneure béninoise, ce n’est pas facile, observe Reine Bossa, à la tête de l’ONG. Il faut du courage pour se relever après être tombé. Pour aller de l’avant, il faut qu’elles arrivent à concilier leur vie de famille avec leurs activités d’entrepreneures. Ces femmes ont besoin qu’on les aide, qu’on leur donne de la motivation pour aller de l’avant. »
Entre 2022 et 2024, plus de 700 filles et femmes sont formées en entrepreneuriat, notamment en matière de gestion comptable et financière, de marketing et d’élaboration de plans d’affaires par les ONG APRETECTRA et RAIL-Bénin. Elles recevront aussi du matériel et des équipements répondant à leurs besoins. Les deux ONG reçoivent l’appui de la Fondation Paul Gérin-Lajoie et le soutien financier du Nouveau Québec sans frontières du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, grâce à l’Initiative pour la co-construction d’un savoir commun Sud-Sud et Sud-Nord sur l’Entrepreneuriat féminin (ISEF)
« On mise sur l’entrepreneuriat féminin, parce que c’est la porte d’entrée de l’autonomisation économique des filles et des femmes, explique Christine Simonnet, chargée de projets à la Fondation Paul Gérin-Lajoie. C’est un moyen pour les femmes de contribuer à répondre à leurs besoins, de valoriser leur rôle dans la société, de faire valoir leurs droits, d’améliorer la situation économique des familles et de leur communauté. C’est un rôle qu’il faut souligner et qui est très important, et qu’elles le font malgré les obstacles auxquels elles font face, avec conviction et beaucoup de travail. »
De retour dans le kiosque de la coopérative Nounagnon Espoir, à Porto-Novo, Sylvie Bertille Akpakoun nous fait visiter l’arrière du décor de la boutique. Dans une pièce s’entassent des morceaux de bois qu’elle utilise pour concocter des remèdes traditionnels. Dans la cour adjacente à la coopérative, ses petits-enfants jouent. Grâce au travail de ces femmes, ces enfants pourront aller à l’école et peut-être avoir un avenir meilleur, qu’ils soient filles ou garçons.
* Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse de journalisme indépendant de la Fondation Paul Gérin-Lajoie.