La densification des villes existantes tout en contenant l’étalement urbain est devenue une idée largement répandue, et est considérée comme la meilleure pratique en matière d’urbanisme. Une nouvelle étude tente d’expliquer pourquoi, dans ce cas, cette méthode fait souvent l’objet d’une vive résistance.
Les travaux, réalisés par des chercheurs de l’Université ETH, à Zurich, rappellent que cette résistance se décline sous diverses formes, que ce soit en lien avec le trafic routier, le bruit, la transformation de la « personnalité » d’un quartier ou la perte d’espaces verts. « Dans des pays démocratiques, un manque d’appui de la part du public est l’un des principaux facteurs qui peuvent ralentir, voire carrément bloquer la densification des villes et des régions métropolitaines », mentionne David Kaufmann, professeur en développement spatial et en politiques urbaines.
Plus le projet est près, moins il est accepté
Le logement est au coeur de la densification urbaine. Les nouveaux développements peuvent non seulement avoir un impact direct sur la valeur des propriétés, mais aussi sur les loyers et la composition de la population d’un quartier, rappellent les chercheurs.
« Le logement est l’une des principales raisons pour lesquelles la densification est contestée, de nos jours », mentionne M. Kaufmann. « Et nous voyons que cette acceptation de cette densification, autant à Zurich que dans de grandes métropoles, est étroitement liée à l’apport en logements abordables. »
Le groupe de recherche de M. Kaufmann a observé systématiquement six villes d’ampleur mondiale, ainsi que dans le canton du Zurich, pour déterminer pourquoi le public, dans les grandes villes, est favorable ou défavorable aux projets de densification urbaine.
En utilisant diverses méthodes de sondage, le groupe a examiné les attitudes des populations vis-à-vis de la densification, afin de déterminer quels facteurs pouvaient expliquer l’acceptation des projets de densification, et comment il est possible de s’attaquer aux effets négatifs perçus par les citoyens dans ce contexte.
Pour leurs travaux, les chercheurs ont interrogé plus de 12 400 personnes à Berlin, Paris, Londres, New York, Chicago et Los Angeles; ils ont constaté que dans ces six villes, la proximité spatiale entre le domicile d’un participant à l’étude et un projet de densification a une influence décisive sur leur niveau d’acceptation : plus ils vivent près de futurs projets de logements, moins ils sont portés à accueillir ceux-ci de façon positive.
Si les projets sont plutôt situés dans d’autres parties de la ville, alors leur avis devient plus positif.
Les chercheurs de l’ETH classifie cela comme un comportement du type « pas dans ma cour ».
Les conclusions sont similaires à celles obtenues lors d’une autre étude effectuée dans le canton de Zurich. Ces travaux, réalisés en 2013 auprès d’environ 3000 personnes, a révélé que si 57,5 % des participants appuyaient l’idée de la densification urbaine comme stratégie de planification urbaine, à peine 11,9 % sont favorables à une véritable densification de leur quartier.
Une question d’abordabilité des logements
Toujours dans le canton de Zurich, les chercheurs de l’ETH ont aussi démontré que l’acceptation de la densification urbaine dépend du type de zone résidentielle : dans les zones des faubourgs et dans les quartiers contenant des maisons unifamiliales, l’acceptation de la densification est généralement plus basse que dans les quartiers plus denses, alors que les résidents y craignent les impacts sur la valeur de leur propriété, sur leur vie privée et sur leurs espaces verts.
Dans les quartiers plus dense, l’avis des résidents dépend davantage des coûts des logements et des loyers. Puisque la densification a tendance à remplacer de plus vieux immeubles, où les prix étaient habituellement plus bas, les résidents tendent à craindre que la densification fera grimper les prix des loyers et des appartements.
En s’appuyant sur les résultats obtenus à Zurich, les chercheurs ont analysé la situation dans les six grandes villes européennes et nord-américaines. Leurs conclusions viennent sous-tendre le rôle essentiel des caractéristiques du projet pour faciliter l’acceptation de projets de densification par le public.
« Les avis positifs se multiplient lorsque les projets comprennent un mélange d’espaces résidentiels et commerciaux, en plus d’être carboneutres », indique M. Kaufmann.
« De la même façon, les projets mis de l’avant par des investisseurs souhaitant réaliser un coup d’argent sont moins bien vus. »
Par ailleurs, les chercheurs ont étudié l’impact de trois outils de planification employés dans le cadre de projets de densification résidentielle : le zonage inclusif, soit l’établissement d’une proportion minimum de logements abordables dans de nouvelles constructions; le contrôle des loyers, et l’implication du public dans la planification.
Dans les six villes examinées, l’étude a démontré qu’une proportion fixe de logements abordables et sociaux réservés aux moins bien nantis, le contrôle des loyers et la participation du public contribuaient tous à faciliter l’acceptation d’un projet. « La densification passe mieux lorsque les projets proposent des logements abordables, puisque cela contribue à réduire les perceptions négatives de cette densification », mentionne M. Kaufmann.
Selon les chercheurs, il est particulièrement intéressant de noter que le contrôle des loyers, « qui pourrait être motivé par l’intérêt personnel », et qu’une proportion fixe des unités réservées pour des logements abordables viennent accroître l’acceptabilité d’un projet de densification.
Cela mène à conclure que le logement abordable est un aspect essentiel de la vie en ville, un peu partout sur la planète, et qu’il est important lorsque vient le temps d’influer sur l’opinion publique en matière de densification, que des gens en profitent directement, ou non.
Berlin et Londres plus sceptiques
Dans les villes davantage axées sur le marché, comme New York, Chicago et Los Angeles, on accepte davantage la densification qu’à Paris, Londres et Berlin, où les règles sont souvent plus strictes, rapportent les chercheurs.
Cependant, les mesures visant à faciliter la construction de logements abordables ont moins d’impact sur l’opinion publique dans les villes américaines étudiées.
C’est à Berlin et Londres qu’on se montre le moins ouvert à la densification; dans la capitale allemande, supposent les experts, cela pourrait s’expliquer en partie par le débat en cours sur le contrôle des loyers. À Londres, le débat porte davantage autour des groupes qui pourront profiter des investissements internationaux dans le marché immobilier.