Parfois, les expériences narratives mettent tellement d’efforts à raconter une histoire interactive qu’elles en viennent à négliger les mécaniques de jeux en tant que telles, mais ce n’est heureusement pas le cas de Road 96.
Road 96 se déroule dans la nation fictive de Pétria, une société profondément divisée qui, depuis l’attentat terroriste de 1986 présumément perpétré par les Brigades noires, a sombré dans le totalitarisme. Les médias d’information donnent maintenant dans la propagande, et les manifestations sont réprimées dans la violence. L’action du jeu prend place à l’été 1996, alors que de plus en plus d’adolescents profitent de la belle température pour fuguer et tenter de fuir le pays en passant illégalement le mur à la frontière, et ceux qui sont capturés en cours de route sont envoyés dans la « fosse », un camp de travaux forcés. En toile de fond, la campagne pour la réélection de Tyrak, l’actuel président, bat son plein en vue du scrutin du 9 septembre.
Proposant une expérience narrative où les décisions comme les choix de dialogues influent sur le cours de l’histoire ainsi que sa conclusion, Road 96 ne souffre pas des problèmes habituellement associés à ce genre de jeu. Contrairement aux productions de Telltale par exemple, le titre n’est pas présenté à la troisième personne, mais adopte plutôt une vue subjective. Pour cette raison, les déplacements ne sont pas alambiqués, comme c’est trop souvent le cas, et le mouvement est totalement fluide. Au-delà des simples conversations, plusieurs mécaniques et mini-jeux sont de la partie, dont du bonneteau, un jeu d’arcade rétro de bataille de tanks, un autre dans le style de Guitar Hero, ou du hockey sur table.

On n’incarne pas un seul personnage dans Road 96, mais bien une série d’adolescents différents. Amorçant le voyage à des milliers de kilomètres de la frontière avec seulement quelques dollars en poche, on se déplace principalement en faisant de l’autostop. On gagne de l’argent en exerçant des petits boulots (pompiste, caméraman, etc.) ou en volant, et quand on a les moyens, on peut parcourir une certaine distance à bord d’un taxi ou d’un autobus. Il faut manger, boire et se reposer tout au long de la route, sinon, notre jauge de vitalité tombe à zéro, et l’on s’évanouit. Lors des pertes de conscience, il arrive que des voleurs nous détroussent, ou que les policiers nous mettent le grappin dessus.
Dès qu’on est arrêté par les forces de l’ordre, que l’on meurt ou qu’on réussit à traverser la frontière, on reprend le voyage depuis un nouveau point d’origine, dans la peau d’un autre adolescent en fugue. Comme les épisodes sont générés aléatoirement par le jeu, chaque road trip dans Road 96 est différent et unique, et nous permet de découvrir de nouvelles facettes de la nation de Pétria et de ses habitants. Que l’on ait été capturé en tentant de se cacher à bord d’un camion ou qu’on soit assassiné par les gardes en tentant de franchir la frontière, on entend aussi parler de nos passages précédents aux nouvelles, ce qui contribue à créer une cohésion narrative bien que l’on incarne plusieurs protagonistes au fil du jeu.

Si l’on traverse des endroits différents à chaque voyage, on croise toujours la même huitaine de personnages : Sonya Sanchez, la « journaliste » vedette qui livre la propagande du président Tyrak; Zoé, une adolescente qui tente de fuir Pétria; Fanny, une policière dont le bon cœur la distingue de ses collègues; Alex, un jeune génie de l’informatique à la recherche de ses parents; Jean, un sympathique camionneur trimballant une mystérieuse cargaison; Jarod, un chauffeur de taxi louche dont fille Lola faisait partie des Brigades Noires, et Stan et Mitch, deux braqueurs imbéciles couvrant leurs visages avec des passe-montagnes. Il faut au moins cinq rencontres pour que chacun livre 100% de ses secrets.
Au fil des voyages, on débloque également diverses aptitudes. Le porte-bonheur accorde 15% de réussite supplémentaire lors d’un lancer de dés. Le badge d’intelligence ouvre de nouvelles options de dialogue. Le kit de crochetage est fort utile pour déverrouiller les cadenas et les portes de voitures. Le hacking sert à pirater les ordinateurs, le pass gouvernemental facilite les interactions avec les forces de l’ordre, et le OMEN Vitality ajoute deux barres de plus à notre jauge d’énergie. Une fois obtenue, l’aptitude est conservée d’un road trip à l’autre. On trouve également une douzaine de cassettes audio disséminées un peu partout à travers Pétria.
Il fait du bien de voir un titre aborder de front des questions politiques comme l’importance de voter, la propagande d’État ou la répression policière, et autant pour son propos mature que ses mécaniques, Road 96 se démarque agréablement des autres expériences narratives.
7.5/10
Road 96
Développeur : DigixArt
Éditeur : DigixArt, Plug In digital
Plateformes : Nintendo Switch, PlayStation 4, PlayStation 5, Windows, Xbox One, Xbox Series X/S (testé sur Xbox Series X)
Jeu disponible en français (textes à l’écran seulement)