Les téléspectateurs conservateurs jusqu’au bout des ongles de Fox News qui ont passé un moins à regarder CNN ont fait état d’un changement important dans leur vision politique du monde – jusqu’à ce qu’ils recommencent à regarder Fox News, selon une nouvelle étude ayant notamment regroupé des chercheurs de l’Université Berkeley, en Californie.
Après environ quatre semaines à regarder CNN en septembre 2020, les habitués de Fox News sont demeurés fermement conservateurs. Malgré tout, l’étude a révélé qu’ils étaient plus ouverts à l’idée de voter par la poste, moins portés à croire que Joe Biden, alors candidat démocrate à la présidentielle, voulait éliminer l’ensemble du financement pour la police, et avaient une vision moins positive de Donald Trump, alors président, et d’autres politiciens républicains.
Cet effet a cependant été de courte durée. Deux mois après la fin de la période de test, la plupart des participants avaient abandonné CNN, et les changements dans leurs opinions avaient disparu, mentionne l’étude effectuée par les politologues David E. Broockman et Joshua L. Kalla.
Dans le cadre d’une entrevue, M. Broockman a indiqué que l’influence croissante des médias qualifiés de partisans (par M. Broockman, NDLR), comme Fox, mais aussi CNN et MSNBC, suscite des inquiétudes à propos de la santé politique des États-Unis.
« Les médias partisans ne font pas que tenter de faire pencher la balance de leur côté », dit-il. « Ils cachent également des informations dont les électeurs ont besoin pour que leurs élus soient imputables. Cela n’est pas seulement bon pour leur camp et mauvais pour leurs adversaires; c’est mauvais pour la démocratie, et pour nous tous. »
Malgré tout, M. Broockman affirme que l’étude offre une porte de sortie, dans une époque où la polarisation politique est importante.
« Même chez les partisans les plus convaincus et les consommateurs de médias partisans, ceux qui reçoivent une diète médiatique qui les aide à prendre un pas de recul sont en fait assez ouverts d’esprit pour comprendre que leur camp n’est pas sans faille. »
Les travaux n’ont pas encore été révisés par un comité de pairs.
Au départ, il y avait Fox News
MM. Broockman et Kalla sont partis d’une idée de base: de précédentes études laissent entendre que les téléspectateurs de médias partisans rejetteraient les informations offertes par une source opposées, qui serait vue comme indigne de confiance. Si ces partisans « changeaient de camp » pendant un certain temps, des observations scientifiques permettraient d’évaluer la capacité de persuasion de tels médias.
M. Trump était toujours président au début des travaux, et les chercheurs disposaient d’un budget limité. Ils ont émis l’hypothèse selon laquelle Fox cachaient des informations à propos de la présidence, et cela a créé une opportunité de recherche. Si un démocrate avait été président, précisent les chercheurs, ceux-ci auraient effectué la démarche inverse, et demandé à des habitués de CNN d’écouter Fox News.
Dans le cadre de l’étude, les participants ont donc écouté CNN pendant au moins une heure par semaine. Ces téléspectateurs étaient « très fortement conservateurs et engagés sur le plan politique », écrivent les auteurs des travaux. La quasi-totalité d’entre eux étaient blancs, avec un âge moyen de 54 ans.
Ils étaient aussi dévoués à Fox News, avec en moyenne 14 heures d’écoute par semaine à heure de grande écoute, où ils pouvaient voir des commentateurs controversés comme Tucker Carlson, Sean Hannity et Laura Ingraham.
Du 31 août au 25 septembre 2020, les participants du groupe principal de participants, qui étaient payés pour écouter CNN, et ensuite interrogés sur les contenus diffusés par la chaîne, ont syntonisé ce poste pendant environ six heures par semaine.
Deux visions du pays
Les deux chercheurs ont évalué la couverture médiatique des deux chaînes pendant la période d’étude, qui correspond à une accélération de la campagne présidentielle en vue de l’élection de novembre 2020.
Fox a ainsi largement parlé des questions raciales et des manifestations ayant suivi le meurtre de George Floyd par un policier, quelques mois plutôt. Les démocrates étaient décrits comme des partisans des revendications des manifestants radicaux et parfois violets.
Et si la pandémie de COVID-19 n’avait pas encore atteint le stade où des vaccins étaient disponibles, la chaîne affirmait que la menace n’était pas très importante.
« Fox ne donnait, en gros, aucune information à propos du fait que le taux d’infection était beaucoup plus important aux États-Unis que dans d’autres pays, ou à propos des erreurs de gestion de la pandémie par le président », explique M. Broockman.
Fox a aussi soutenu que le fait de voter par la poste, pour réduire les risques d’infection et de contamination en lien avec la pandémie, faisait augmenter les probabilités d’une fraude électorale.
La couverture de CNN, elle, a largement porté sur la gravité de la crise sanitaire et sur les échecs apparents de l’administration Trump à gérer le tout. En ce qui concerne le vote postal, le point de vue présenté était largement favorable.
Les opinions ont changé, mais pas les valeurs
Sur ces questions, et sur plusieurs autres, passer à CNN a semblé avoir un impact important. Les conservateurs ne sont pas devenus des libéraux, et les partisans de Donald Trump n’ont pas soudainement appuyé Joe Biden, mais les personnes qui avaient été payées pour écouter CNN pendant environ un mois étaient davantage portés à admettre que si Trump se trompait, Fox n’en parlerait pas, et que la campagne Trump n’avait pas posé les bons gestes pour se protéger contre la COVID lors de rassemblements partisans.
Ils avaient aussi moins tendance à penser que les démocrates tentaient de « voler l’élection » en utilisant le vote postal, et à croire que si Biden l’emportait, davantage de policiers seraient abattus par des militants du mouvement Black Lives Matter, entre autres changements de fusil d’épaule.
Selon les chercheurs, ce changement s’explique par la transformation du « filtre partisan », soit le fait de choisir les nouvelles qui seront traitées en fonction d’une orientation politique de la part d’un média.
Plus des spectateurs écoutent leur réseau favori, plus la couverture de ce dernier « recharge » leurs convictions et leurs loyautés partisanes, écrivent les spécialistes.
Si ce cycle est brisé, alors la population peut élargir ses horizons. Mais l’étude souligne aussi le danger envers la démocratie que représente la couverture partisane.
« Comment un électeur peut-il rendre un politicien imputable pour un geste malfaisant s’il ne sait pas que celui-ci s’est produit? », s’interrogent les auteurs de l’étude. « Ou, comment les électeurs peuvent-ils souligner le bon coup d’un élu si leur média de prédilection ne le leur dit pas? »
Retour à la « normale »
Les effets du changement de chaîne ont persisté pendant un certain temps après la fin de l’étude, du moins pour une courte période.
Trois jours après la fin de l’expérience, le principal groupe d’étude, celui dont les membres étaient payés pour écouter CNN, était « bien moins porté » à considérer les priorités de Fox comme importantes, et voyait la COVID comme une menace beaucoup plus importante.
Mais si la confiance de ce groupe principal envers Donald Trump a diminué, sa confiance envers Joe Biden n’a pas augmenté. Si Fox était vue sous un angle moins favorable, CNN n’était pas plus appréciée, non plus.
Et deux mois après l’étude, les auteurs ont constaté que les partisans de Fox News étaient presque complètement retournés à leurs anciennes habitudes télévisuelles, et à leurs précédentes opinions politiques.
Malgré tout, il est possible de changer les convictions, même chez un public particulièrement polarisé, juge l’étude.