La place des développeurs indépendants sur les plateformes de jeux vidéo n’est plus à faire. Mais de là à dire qu’ils ont toujours les moyens de leurs ambitions, il y a tout un pas.
Pour passer des idées à la concrétisation, mais surtout pour atteindre la rentabilité et se donner les moyens de continuer, il n’y a pas de recette magique: il faut le soutien d’une communauté et/ou d’un distributeur pour attirer des acheteurs. Il faut, en somme, parvenir à mettre un pied dans l’industrie.
C’est en bonne partie pour offrir des opportunités de ce genre aux développeurs en herbe qu’a été inauguré en 2015 L’Espace Ludique, aussi connu sous le nom de GamePlay Space.
Derrière l’initiative, une figure bien connue dans le milieu du jeu vidéo: Jason Della Rocca et son incubateur Execution Labs, créé quelques années plus tôt avec la mission d’investir dans de petits studios prometteurs.
« L’idée de Gameplay Space est venue un peu de tout ça », explique la directrice générale Marie Laurence Sauvé, la principale gestionnaire de L’Espace Ludique. « De un, pour lui, créer un espace où tous ces studios pouvaient échanger entre eux, mais aussi offrir des opportunités à d’autres dans lesquels il ne pouvait pas investir, et vraiment mettre la table pour que plus de gens dans l’industrie du jeu à Montréal aient accès à des opportunités et un espace pour travailler ensemble. »
« On ne s’implique pas directement dans les projets », spécifie-t-elle, « mais on offre un environnement qui permet aux développeurs de jeux d’avoir des bonnes ressources pour que leurs projets soient menés à bien. »
Avec sa petite équipe composée de quatre femmes, L’Espace Ludique offre un soutien technique et logistique dans un vaste espace de travail collaboratif, mais aussi l’occasion tisser des liens et des relations d’entraide entre les développeurs, en plus de les mettre en contact avec des gros joueurs de l’industrie ou encore des spécialistes de la mise en marché.
Son mandat se décline en trois axes principaux: la communauté, le partage des connaissances et la création d’opportunités.
« Le fait qu’on soit un espace où il y a plusieurs studios fait qu’on peut amener des publishers, amener des gens de l’industrie de partout dans le monde », explique Marie Laurence Sauvé.
‘’Des fois, aussi, ça va être des équipes délocalisées de studio qui sont à l’étranger et qui vont avoir un ou deux développeurs ici à la place de louer un bureau. C’est quelque chose qu’on essaye d’aller chercher, ceux qui sont plus gros et qui veulent s’installer ici ou ouvrir une branche.’’
À titre d’incubateur, L’Espace Ludique peut notamment se vanter d’avoir accompagné le studio Norsfell, qui a travaillé sur le populaire Tribes of Midgard dans ses bureaux, avant de quitter le nid pour voler de ses propres ailes.
« C’est un studio qui était ici depuis la création de L’Espace Ludique. C’est vraiment une des premières équipes qui se sont installées ici et ils sont restés jusqu’à tout récemment. Ils ont grandi beaucoup et ils ont décidé de prendre leur bureau à eux pour leur équipe, mais ils ont pas mal travaillé sur le jeu ici », relate Marie Laurence avec une pointe de fierté dans la voix.
« Sinon, on a des studios comme Outerminds qui ont été ici, Kitfox, il y en a beaucoup. »
Une pandémie venue forcer l’évolution
L’Espace Ludique est un espace physique et, depuis maintenant un peu plus d’un an et demi, c’est tout son modèle d’affaires qui est bouleversé. Une situation difficile qui ne s’est pas présentée au meilleur moment.
En février 2020, L’Espace Ludique a pris possession d’un local de 5000 pieds carrés, adjacent à son propre local de 10 000 pieds carrés, pour répondre à une demande grandissante. Et puis hop, quelques semaines plus tard, il a fallu fermer les portes.
« Heureusement, on a eu beaucoup d’aide gouvernementale en tant qu’OBNL et en tant qu’entreprise au Québec et au Canada pour être capable de payer notre loyer. Un très grand local au centre-ville [de Montréal] ça coute cher de loyer, surtout quand on n’a pas de revenus. »
L’aide gouvernementale a permis de garder le local et de payer l’équipe alors en quête de nouvelles stratégies.
« Ç’a a donné un gros coup et on a été en gestion de crise pendant vraiment, vraiment longtemps », reconnaît Marie Laurence. « On n’est pas encore au bout, mais il faut le voir comme une opportunité de se diversifier. »
Et comme pour bien d’autres entreprises, cette diversification est passée par des initiatives virtuelles.
“C’est quelque chose qu’on avait en tête depuis longtemps, de détacher un peu le fait d’être membre de l’Espace Ludique et d’offrir des services d’accompagnement, des services de formation et des choses comme ça sans que les gens soient obligés d’être à l’intérieur du bureau.’’
Conséquemment, s’il fallait autrefois louer un espace de travail pour être membre de L’Espace Ludique, ce n’est maintenant plus une exigence. Et le membrariat virtuel, offrant quelques services de base dont l’accès à la communauté, est entièrement gratuit.
Et la formule est vraisemblablement là pour rester. Le succès de grandes conférences virtuelles, en mai et en juin, a même contribué à élargir la clientèle internationale.
Si la pandémie a exercé une pression notable sur ses finances et ses activités, L’Espace Ludique semble donc loin d’avoir dit son dernier mot.
« On sent que les gens sont toujours intéressés par ce qu’on offre », constate Marie Laurence Sauvé dans son grand espace vide. « On est restés en vie avec ça et on prévoit de rouvrir le local bientôt. »
Écoutez l’intégrale de l’entrevue avec Marie Laurence Sauvé, dans le cadre du podcast Pacman et préjugés: