Un coléoptère attaque une grenouille, une mante religieuse capture un colibri, une araignée attrape une chauve-souris dans sa toile… On les imagine tout au bas de la chaîne alimentaire, mais les invertébrés peuvent se révéler de formidables prédateurs.
Les arthropodes, cette très grande famille qui inclut les insectes, les araignées et les mille-pattes, sont « des prédateurs sous-estimés », écrit le postdoctorant en biodiversité Jose Valdez. Celui-ci a épluché toutes sortes de publications, allant des articles scientifiques aux dissertations en passant par les comptes-rendus de conférence et les rapports gouvernementaux, pour recenser les cas où un arthropode a directement attaqué et mangé un vertébré.
Il a ainsi répertorié plus de 1300 cas où les invertébrés ont eu le dessus, la moitié observée aux États-Unis, au Brésil et en Australie.
Les prédateurs les plus communs sont les araignées, impliquées dans 57 % des cas. Parmi les insectes (33 %), les principaux coupables sont les punaises aquatiques, les mantes et les coléoptères.
Quant aux proies, ce sont des amphibiens dans 40 % des cas, en particulier des grenouilles. Suivent ensuite les reptiles, comme les lézards. Des oiseaux, des chauves-souris et des poissons ont aussi été répertoriés parmi les victimes.
Des obstacles aux efforts de conservation
Mais ça va au-delà de la proie chassée pour un petit déjeuner. Ces dernières années, plusieurs histoires d’invertébrés massacrant des espèces en danger ont été rapportées.
Par exemple, une équipe du Nevada cherche à sauver le Cyprinodon diabolis, un poisson de la région. En 2013, il ne restait plus que 35 spécimens de cette espèce qui vit uniquement dans le Devils Hole, un point d’eau situé dans la vallée de la Mort aux États-Unis.
Les biologistes ont donc conçu un aquarium imitant l’habitat naturel de ces poissons, pour leur permettre de se reproduire en captivité. Ils ont ainsi prélevé de l’eau, des algues et, à leur insu, des scarabées d’eau. Il s’est avéré que ceux-ci attaquaient sans relâche les œufs et les larves du Cyprinodon. Ce n’est que lorsque les scientifiques ont réussi à se débarrasser des prédateurs, que la reproduction a pu prendre son envol: le nombre d’œufs de poissons recueillis est passé d’un maximum de cinq par collecte à près de 40.
En Australie, une équipe de conservation racontait en janvier dernier comment certains coléoptères aquatiques empêchaient la réintroduction dans son habitat d’une grenouille menacée, en attaquant et en démembrant les têtards. Selon l’étude, les coléoptères déposaient même leurs œufs tout près de ceux des grenouilles et l’éclosion avait lieu dans les 24 heures suivant l’apparition des têtards.
Selon les scientifiques, les équipes de conservation ne tiennent souvent pas compte des prédateurs invertébrés lorsqu’ils mettent au point un plan pour sauver une espèce. Il faut dire que ces cas de prédation par les insectes et les araignées sont très peu documentés. Le New York Times rapporte que les résultats de la nouvelle recension réalisée par le postdoctorant sont maintenant disponibles dans une banque de données accessible à tous.