Dans Introduction à la violence, premier opus de son nouveau cycle de création présenté la semaine dernière à l’Usine C, Marie Brassard nous emmène dans une épopée fantastique. Elle nous entraîne dans les limbes de son imaginaire, entrelacement de fantasmes et de démons.
Récit abstrait et débordant comme le sont les rêves où les mondes s’ouvrent sans cohérence évidente, il y est néanmoins question de violence – vous l’aurez compris par le titre -. La violence d’être vivant et le vertige que cela implique. La violence de l’enfance et du passage vers l’âge adulte. La violence envers la nature, notre instinct, qui nous sommes, au fond.
Dans un univers fantastique déployé par trois écrans géants qui parfois nous aspirent parfois nous donnent l’impression de flotter, l’atmosphère est angoissante, menaçante. On alterne entre le bleu glaçant et le rouge brûlant. Cette fois elle se met « seule » en scène. Mais seule elle n’est pas. Elle croise sur ses chemins des personnages certains amicaux, d’autres inquiétants, et le récit qu’elle donne de ses rencontres est très imagé. Très incarné aussi par une gestualité minimaliste, mais précise et parfois mécanique. Les répétitions agissent comme une spirale infernale dans laquelle on est aspiré et on perd ses repères.
L’esthétique onirique, si propre à la création de Marie Brassard est un voyage en soi. La scène est surélevée et découpée comme une sorte de rampe de défilé déformée. Ainsi posée au-dessus du sol elle renverse la sensation d’espace. Bien que la créatrice-interprète nous fasse descendre dans ses rêves, il semblerait que la vie réelle soit en-dessous, finalement. Comme toujours le travail de Marie Brassard est complet et tout y est minutieusement conçu grâce à des collaborateurs.trices de génie (à la création musicale Alexander MacSween, Mikko Hynninen aux lumières, Antonin Sorel à la scénographie et Sabrina Ratté à la vidéo). Il y a un certain décalage entre un récit et une adresse au public directe et intime et le grandiose de la scénographie très impressionnante dans laquelle on est littéralement plongés. Mais cette esthétique si maîtrisée proche de la perfection porte les défauts de ses qualités et s’accompagne d’une froideur qui nous laisse à distance, sans arriver réellement à venir chercher une émotion. Et parfois on décroche.
Alors qu’elle commençait son spectacle avec la phrase « au début, il n’y a rien », j’ai été instantanément ramenée dans la merveilleuse pièce Kiss and Cry (de De Mey et Van Dormael) qui débutait ainsi: « Au début. on ne sait pas que c’est le début. Au début on ne sait que les choses commencent. Au début on n’est pas certain que les rêves sont bien des rêves… Et puis au début surtout, on ne sait pas combien de temps tout cela va durer. » L’écho m’a suivie tout le spectacle.
Celui-ci est une invitation au voyage avec tout ce qu’il comprend, ses rencontres, ses épiphanies, mais aussi sa part d’ennui et d’incompréhensions. Marie Brassard n’est pas la dernière personne avec qui on accepte de partir.