Il y a quelque chose d’ulcérant à écouter Main basse sur la ville, à observer la médiocrité urbaine étalée à l’écran dans toute sa gloire putrescente. Le documentaire de Martin Frigon, projeté au Cinéma du Parc depuis la toute fin du mois de mars, lève le voile sur l’emprise des grandes compagnies sur le développement de Montréal et des banlieues.
À partir des années 1970, et peut-être même un peu avant, de grands groupes industriels, d’abord européens, investissent massivement dans la construction à Montréal, qu’il s’agisse de ses infrastructures, de ses immeubles à bureaux ou de ses complexes d’habitation. La métropole se modernise, certes, mais elle le fait trop rapidement, en détruisant des quartiers complets pour y bâtir des autoroutes ou la Maison de Radio-Canada, par exemple.
Presque un demi-siècle plus tard, si le développement urbain est un peu mieux encadré, le mal est fait: les terres agricoles ont disparu de l’île de Montréal, celles de Laval sont menacées de dézonage, et partout, on se trouve aux prises avec un réseau routier vieillissant et la multiplication des condos tout sauf conçus pour la vie de famille et de quartier, ce qui pousse les gens désirant une vie mieux adaptée à s’exiler dans les banlieues, et à ainsi consacrer de trop nombreuses heures à la conduite automobile.
« Le summum de l’évolution humaine, c’est un grand terrain asphalté, avec des lignes dessus, et une grande enseigne où l’on peut lire Costco, ou Canadian Tire », dit en substance l’anthropologue Serge Bouchard dans ce documentaire coup-de-poing qui vient confirmer que malgré toute la bonne volonté du monde, les villes appartiennent encore aux promoteurs, qu’ils soient propriétaires d’immeubles, entrepreneurs spécialisés en construction d’autoroutes, ou développeurs de terres en friche pour y planter la même maison en carton à des centaines de reprises.
S’appuyant sur le travail d’enquête du journaliste Henry Aubin pour justement identifier, il y a plusieurs décennies déjà, les véritables propriétaires d’une bonne partie de la métropole, Main basse sur la ville donne l’impression que la population s’est en grande partie résignée à payer des milliards de dollars, à chaque année, pour aller se perdre dans le trafic en raison d’une conception de l’urbanisme datant de l’époque des grands chantiers montréalais.
Immobilisme gouvernemental – surtout du côté du ministère des Transports -, laissez-faire des dirigeants, fatalisme des citoyens… À l’heure des « Smart Centres » où il faut embarquer dans son auto pour changer de magasin, à l’époque des maisons en rangées en banlieue avec la piscine et la thermopompe, au moment où l’on refuse de planifier plus loin que la prochaine campagne électorale lorsque vient le temps de construire pour l’avenir, faut-il encore s’étonner que certaines personnes s’insurgent qu’on leur interdise d’utiliser leur voiture pour traverser un parc? Ou que des habitants de Saint-Lambert, sur la rive sud de Montréal, avancent que la construction d’une piste cyclable attirera des criminels? Sommes-nous à ce point coincés dans un mode de vie destructeur sous tous les aspects (environnemental, économique, sociétal, psychologique) qu’il soit impensable de casser le moule du tout à l’auto?
Main basse sur la ville, c’est une gifle cinématographique, un grand portrait d’une durée pourtant réduite, mais qui atteint parfaitement son objectif. Reste à voir, ensuite, si la population sera suffisamment remontée – ou conscientisée, c’est selon – pour agir.
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