Fuyant la guerre, les migrants ne savent jamais exactement à quel type de société ils vont devoir s’acclimater. Avec L’autre côté de l’espoir (2017), le grand cinéaste finnois Aki Kaurismäki accueille un réfugié irakien à l’aide de son langage cinématographique singulier.
Arrivé en Finlande caché dans la cargaison de charbon d’un cargo, un migrant originaire d’Iraq prend d’abord une douche pour être présentable, puis demande les indications pour se rendre au poste de police le plus près. «Vous êtes sûr !? Je vous montre où c’est et vous déciderez après», lui répond le préposé à l’information. Notre héros est fiché et envoyé dans un centre pour réfugiés en attendant de savoir s’il est accepté, etc. Il se lie d’amitié avec un réfugié syrien qui lui explique comment se comporter dans cette société nordique.
Un soir, l’Irakien lui lance: « Allons prendre une bière ou n’importe quoi que ces non-croyants boivent! ». Au bar, le barman est une espèce de colosse au gabarit de Frankenstein. Les deux petits étrangers lui demandent deux bières, immédiatement. Le géant leur donne deux pintes pleines sans même prendre le temps de les verser. Ensuite, le duo lui demande où ils peuvent s’asseoir et l’homme leur répond que ça n’a pas d’importance. Ainsi va l’absurdité du cinéma d’Aki Kaurismäki.
En parallèle, le cinéaste nous raconte l’histoire d’un homme finlandais d’un certain âge qui quitte sa femme et décide de se lancer dans la restauration en faisant l’acquisition d’un restaurant. La scène de séparation est mémorable. Portant des bigoudis, la femme fume à la table sur laquelle il y a un gros cactus sphérique. L’œil du spectateur fait l’analogie entre ces deux figures repoussantes. Dans le silence le plus résolu de cette communauté de personnages impassibles, l’homme dépose ses clés sur la table, et son jonc.
Cette scène nous transporte dans la fameuse trilogie Ariel (1988), Leningrad Cowboys Go America (1989) et La fille aux allumettes (1990) à travers laquelle le cinéaste a développé un langage cinématographique propre à lui. Avec L’autre côté de l’espoir (2017), il introduit une entité étrangère dans son univers.
Style
L’œuvre d’Aki Kaurismäki est lente et sombre au point de provoquer le dédain des amateurs de cinéma américain ou français, ou de carrément leur faire cogner des clous en salle. Bien que le héros soit un réfugié en cavale, la façon de tourner du cinéaste nous plonge davantage dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001) de Jean-Pierre Jeunet que dans Eden à l’Ouest (2009) de Costa-Gavras.
Après la projection du film, deux femmes dans la cinquantaine, ou encore dans la soixantaine se plaignaient du traitement indigne du sort des réfugiés. Pourtant, tout y était. Le héros explique son passé trouble, son parcours de fuite, la menace qui pèse toujours sur les membres de sa famille et on nous montre le harcèlement de groupes racistes, ainsi que les phases d’intégration. Ce qui semble manquer, ce sont les images-chocs des médias et la magnification de l’individu du mélodrame occidental.
N’empêche qu’on aurait tort de renoncer à ce style cinématographique qui donne à voir autrement. Au centre de réfugiés, le cinéaste nous montre l’acte de faire la cuisine en trois plans. Primo, il montre la nourriture qui cuit dans une poêle derrière le comptoir. Secundo, il montre les femmes qui cuisinent alignées le long du comptoir. Tertio, il montre les hommes en train de manger assis alignés le long de la table devant le comptoir. Ainsi, le cinéaste découpe l’espace cuisine en trois tranches créant un volume.
Cette façon de cerner la spatialité permet de mettre en abyme la théâtralité de l’identité. Par exemple, le restaurant finnois se métamorphose en restaurant japonais et en restaurant indien. Dénoncer l’«appropriation culturelle» de ces séquences est complètement vain puisque le film entier est une mise en abyme de la culture finnoise. Aki Kaurismäki a au moins le mérite de l’autodérision.
Comme pour le film suédois The Square (2017) de Ruben Östlund dans lequel la source de la musique du groupe Justice est identifiable, la musique du film L’autre côté de l’espoir (2017) ne vient pas de nulle part pour magnifier l’action. Issues des trente glorieuses, ces musiciens qui ont mémorisé ces notes et ses paroles apparaissent à l’écran.
Drôle.
En complément:
https://www.pieuvre.ca/2017/11/27/the-square-laustralopitheque-derriere-la-conscience-humaine/