Le livre est là, massif, intimidant, mais aussi majestueux. Le livre? On devrait plutôt dire les livres, puisque l’ouvrage au poids approchant les deux kilos est en fait le deuxième tome des Chroniques politiques de René Lévesque, publiées aux Éditions Hurtubise.
Ce deuxième tome des Chroniques permet de replonger dans une époque riche en rebondissements: battu dans son comté après 10 années comme député, voilà que le chef du tout jeune Parti québécois revient à ses première amours, le journalisme, tout en conservant ses fonctions politiques. C’est Péladeau père, alors propriétaire de deux journaux n’existant que depuis quelques petites années, le Journal de Montréal et le Journal de Québec, qui lui offre un espace pour commenter l’actualité, et ce à raison de six fois par semaine.
Pour ce second volume, Éric Bédard et Xavier Gélinas compilent donc ces textes publiés en 1970 et 1971, époque bouillonnante s’il en est une dans le paysage politique québécois, canadien, mais également mondial. Des textes écrits parfois à la hâte – Lévesque poursuivant ses activités politiques de chef du PQ -, parfois écrits sous le coup de l’émotion, mais toujours des textes écrits avec la verve que l’on connaît à celui qui deviendra premier ministre et qui tentera l’aventure du référendum en 1980.
Peut-on imaginer, aujourd’hui, un chroniqueur politique au volume de production aussi élevé, tout en combinant ces tâches avec celles découlant de la direction d’un parti politique? Peut-on imaginer, surtout, un patron de presse donnant aujourd’hui une tribune aussi importante à MM. Couillard, Lisée, ou encore Legault? Aujourd’hui, l’idée même de permettre à un chef de parti de s’exprimer par les médias sans avoir besoin de passer par le « filtre » d’une nouvelle ou d’une section des « lettres des lecteurs » provoquerait immédiatement une levée de boucliers de la part de la classe journalistique. Autre époque, autres moeurs…
C’est aussi en lisant quelques-unes de ces chroniques qu’il apparaît clairement que la classe politique moderne manque crûment d’orateurs capables d’articuler aussi clairement leur discours que les dirigeants de l’époque. Non pas que les élites d’aujourd’hui ne soient pas en mesure d’étayer leurs positions politiques d’arguments savamment détaillés, mais il leur manque souvent un petit quelque chose, une certaine grandeur. Peut-être cela est-il lié au manque de projet de société à long terme? Peut-être que le marasme des 20 dernières années y est pour quelque chose.
Ce qui n’a pas beaucoup changé, non plus, ce sont les sujets qui préoccupaient Lévesque il y a bientôt 50 ans. Paiement des médecins à l’acte, importance des médecins spécialistes dans les négociations salariales avec Québec, relations fédéral-provincial, place du français dans la société… Plus de danger, aujourd’hui, de risquer les bombes et les attentats du FLQ, mais le nom de famille du premier ministre canadien n’a pas changé, lui.
Ces Chroniques politiques permettent à la fois de lancer un regard vers le passé et de réfléchir à l’avenir. Un avenir où, toutes allégeances confondues, nos dirigeants pourraient envisager l’avenir à un peu plus long terme, plutôt que de ne penser qu’en fonction des prochaines élections.
Historiens, militants péquistes, curieux… la série des Chroniques politiques de René Lévesque est un artéfact journalistico-politique qui mérite d’être préservé.