Ils sont riches, ils sont bien installés au soleil et ils sont entre eux: si plusieurs milliers, voire plusieurs centaines de milliers de Québécois prennent chaque hiver le chemin de la Floride, les clients du Aztec RV Resort, eux, vivent la grande vie.
Cette vie, le réalisateur Guillaume Sylvestre la dépeint sans fioritures dans Le prix du paradis, documentaire stupéfiant actuellement disponible en ligne, sur le site web de la chaîne Canal D.
Ce qu’il faut savoir, d’abord, c’est que le paradis n’est pas offert à n’importe qui. Pour accéder à l’endroit et louer ou acheter un terrain, il faut d’abord être propriétaire d’un véhicule récréatif de classe A. Et l’on ne parle pas ici de simples roulottes, mais bien de mastodontes aux allures de paquebots sur roues, avec sections pouvant s’étendre sur les côtés du véhicule, télévisions à écran plat encastrées et fauteuils en cuir.
Que l’on aime les véhicules récréatifs, soit. Et le fait de posséder les centaines de milliers de dollars nécessaires pour devenir propriétaire de l’un des emplacements de ce terrain exclusif, avec services et divertissements à la clé, n’est certainement pas un crime. Personne n’a jamais dit qu’il était interdit de profiter de l’argent de son labeur, et qu’une vie consacrée au travail ne méritait pas de récompense une fois rendu à la retraite.
Non, ce qui cloche, dans ce Prix du paradis, ce qui sidère le Québécois moyen, c’est justement à quel point les résidents de l’endroit viennent confirmer les pires clichés des Québécois en vacances. Est-ce une question de génération? Toujours est-il que nos plaisanciers dansent le continental, passent leur temps à boire de l’alcool bon marché, et semblent s’autocongratuler de leur bonne fortune, alors que le luxe qu’ils affichent de façon aussi outrancière est au mieux clinquant, quand il n’est pas désolant.
Seul l’unique anglophone approché pour les besoins du film, particulièrement coloré, semble comprendre l’essentiel deuxième niveau de l’existence chez Aztec. Le voilà sur sa voiturette de golf pimpée aux roues surélevées (oui, monsieur!), entre deux sorties de sa magnifique et rutilante voiture de sport.
Sinon, chez les autres, on a l’impression de retrouver la même fermeture d’esprit qu’au sein de la famille Pineault-Caron, rendue tristement célèbre par un témoignage excessivement xénophobe en commission parlementaire sur la Charte des valeurs. Voilà donc les femmes de nos vacanciers, réunies après une séance d’exercice, à se féliciter de pouvoir choisir la décoration intérieure des véhicules récréatifs, avant de plonger carrément dans le racisme et l’aveuglement volontaire. « Il n’y a pas de classes sociales, ici », clame l’une d’entre elles – après tout, tout le monde est riche!, tandis qu’une autre dit avoir peur de se rendre à Montréal. C’est sûr qu’on y parle « au moins 20 langues »! Y compris la terrible « langue islamique »…
Ajoutez à cela quantité d’autres aspects toujours aussi surréels et même dérangeants – le propriétaire se vante de ne pas savoir écrire, entre autres -, et vous obtenez un documentaire qui force le spectateur à se demander, tout au long des 45 minutes que dure le film, si le réalisateur Guillaume Sylvestre tentait de faire ressortir tout le côté kitsch de ce terrain de camping pour gens riches, ou s’il ne désirait que montrer la vérité. Quoi qu’il en soit, le résultat est désolant. Et le coup de grâce est porté à la toute fin: alors que les vacanciers quittent l’endroit à la fin de la saison, nous sommes ramenés à la réalité. Au-delà des frontières du parc privé s’étalent des magasins décrépits, les sirènes de police retentissent, et des Noirs que l’on imagine être défavorisés traversent un large boulevard ressemblant à l’horreur qu’est Taschereau. Comme retour à la réalité, on a rarement vu plus brutal.