Est-il encore nécessaire de présenter John Le Carré? Espion britannique dans une autre vie, célèbre auteur de romans d’espionnage, l’homme sent poindre le crépuscule de sa vie. À 80 ans bien sonnés (et dépassés), le maître du thriller intellectuel revient sur ses expériences hors de l’ordinaire dans Le tunnel aux pigeons – Histoires de ma vie, récemment paru chez Seuil.
Le Carré a toujours vécu une double vie. En tant qu’espion pour la Grande-Bretagne jusque vers la fin des années 1960, d’abord, avec un nom d’emprunt, un réseau d’informateurs, probablement des rencontres secrètes et des décisions lourdes de conséquences. Et, bien sûr, en tant qu’auteur par la suite, à moitié toujours plongé dans le monde de l’espionnage de par son passé, alors que son succès en tant qu’écrivain venait ajouter un nouveau poids sur ses épaules, faisait naître des attentes de la part de ses lecteurs, compliquant un peu plus le quotidien de ce créateur de tant de classiques littéraires.
Ce Tunnel aux pigeons aurait pu être une façon déguisée – ou carrément flagrante – de s’autoflatter dans le sens du poil, mais si les anecdotes racontées par Le Carré peuvent parfois sembler extraordinaires, le roman trace plutôt le portrait d’un homme ordinaire que les circonstances ont favorisé.
Et si bon nombre de ces anecdotes dégagent une petite odeur passéiste, c’est qu’il faut se rendre à l’évidence: John Le Carré, sa vie, ses oeuvres, tout cela est l’incarnation de la Guerre froide, de cette version idéalisée d’un espionnage de gentleman, et non pas de successions d’explosions à la James Bond. Après tout, George Smiley, l’un des héros les plus connus de Le Carré, n’était pas du genre à se commander un martini au shaker avant d’aller coucher avec la belle d’un soir. De par ses romans, l’auteur nous présente un monde enjolivé, oui, mais un monde paradoxalement moins cruel que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Après tout, qui irait, aujourd’hui, inventer des histoires d’espionnage parlant de Boko Haram ou de l’État islamique? John Le Carré nous renvoie à une époque où les frontières étaient plus claires, où les combats étaient mieux définis. Ajoutez à cela la bonne dose d’humour et une humilité rafraîchissante, et vous obtenez un Tunnel aux pigeons se lisant en quelque sorte comme une autobiographie détournée, le récit de l’existence d’un auteur qui non seulement écrit sur un sujet particulier, mais qui a la chance de plonger dans cet univers d’intrigues et de dangers. Quitte à enjoliver les choses par la suite!