Provenant d’une famille d’artisans, l’artiste Julie Desquand a rompu avec la tradition héraldique à travers ses voyages et ses expériences artistiques. À la Tohu, elle présente son exposition Au fil de l’estampe du 7 décembre au 5 février.
Entouré de ses dessins bizarroïdes aux taches jaunes, noires et rouges, je me suis entretenu avec l’artiste avant son vernissage.
Pourquoi exposer à la Tohu ?
Tu vois, ça jongle. Il y a des boules. Les taches circulaires c’est comme « circus », ça veut dire le cercle. C’est un univers où tu peux t’affranchir de toutes les limites du réel. Tu as une liberté d’exprimer le corps dans tous ses états. Tu peux y aller dans la caricature. Le déséquilibre, c’est en plein ça ! Il n’y a pas de frontières. Tu jongles avec une dimension d’apesanteur, de corps et d’équilibre. J’aime le contraste entre les lignes fines et les taches. À la base, il y a un chaos, quelque chose d’imposant, et puis il y a cette « ligne de récit ». Elle t’invite à lire une histoire.
La gravure héraldique, c’est quoi ?
Admettons que tu as des armoiries, tu as un symbole, et que ta bague soit un peu usé, ou que t’aimerais le rafraîchir, tu vas voir un graveur héraldique. Il reproduit cette gravure telle quelle, à partir du cachet en cire qui a été fait sur la gravure initiale. Il peut créer un symbole en se basant sur ton histoire, mais de règle générale il s’agit d’une tradition codée qui remonte aux Croisades. Mon père est graveur héraldiste, mon grand-père également et ça remonte de génération en génération. J’ai grandi dans cet univers masculin et j’étais censé reprendre ça.
Qu’as-tu découvert au Sénégal ?
La peinture j’en faisais un peu, mais je n’avais jamais l’espace et le temps. Au Sénégal, j’ai peint une série de portraits. Après j’ai été inspiré par la capitale Dakar dont une peinture sur tout l’univers des chauffeurs de taxi. C’est de l’observation, ce n’est pas photographique, ça reste figuratif, disons naïf ou caricatural. C’est comme une BD, quelque part. Puis j’ai abordé les thèmes de la polygamie et de l’immigration clandestine. J’ai fait deux biennales. Avec ça, j’ai pu exister en tant qu’artiste par une peinture sociale, témoin de ce qui se passe.
Un théâtre comme première maison, en tant qu’actrice ?
Oui, avant le Sénégal, je me dirigeais vers le jeu. Par contre, j’ai décidé de continuer à m’exprimer par le visuel, par la matière, en faisant des décors et des affiches en restant dans l’univers du théâtre. Par rapport à cette exposition à la Tohu, quand tu me parles de taches et d’espace, c’est intéressant ce que tu dis. Tu sais dans le milieu, l’estampe fait souvent référence à la gravure parce que l’estampe c’est des images multiples, par exemple un tirage de 50 ou de 100. Ici, ce sont des monotypes, mais ça fait quand même partie de la catégorie de l’estampe. C’est particulier, parce que c’est unique. Il y a seulement une impression.
Quel est le procédé ?
Je vais mettre de l’huile, et des pâtes, des pigments de couleur sur une plaque de verre. Ensuite, je vais déposer ma feuille sur la plaque de verre en faisant une pression manuelle. Avec cet acte-là, on appelle ça une estampe. Si la tache m’a plu, je laisse sécher la feuille pendant deux à trois semaines. Puis je contemple le blanc de la feuille tachée d’huile jaunâtre et de couleurs, d’une façon instinctive pour y voir les figures qui naissent. Ce jeu de reconnaissance, un rapport entre la matière et ton état d’âme, se dessine. J’y vais directement. Je trace avec un crayon à mine, une plume avec de l’encre de Chine ou un crayon-feutre.
Qu’as-tu retenu de ton séjour au Québec ?
Mon compagnon, mon fils et moi avons vécu au Québec pendant quatre ans et demi. J’ai été éducatrice au Musée des beaux-arts de Montréal. Une de mes collections préférées est celle des estampes inuit. Quand on regarde ces estampes, c’est simple, c’est fort et tout le monde peut lire ça. Tout le monde peut se projeter là-dedans. Grâce à cette expérience-là, mon travail s’est orienté vers le papier et vers l’estampe, en plus de découvrir l’univers, la cosmologie et les croyances de ce peuple.
Retrouves-tu le cirque dans tes œuvres ?
J’ai beaucoup regardé un film qui date des années 1930, qui s’appelle Freaks, réalisé par Tod Browning. Autrefois, les cirques avaient des curiosités, tu sais ? Des hommes foire, des monstruosités, la femme à barbe… et moi, petite fille je suis resté marquée à fond.
L’exposition Au fil de l’estampe est présentée du 7 décembre au 5 février à la Tohu.